Hier, je suis allée voir les photos de Lisette Model au musée du Jeu de Paume. Vous avez sûrement déjà entendu parler de cette expo, qui a commencé en février et qui dure encore quelques semaines. J’ai hésité à y aller. Les photos d’elle que je voyais dans le métro me faisaient un peu peur. Quand j’ai appris qu’elle avait été la prof de Diane Arbus, je me suis dit que j’avais affaire à une photographe du bizarre. Ca m’a intriguée.
Commençons par les faits. Née en 1901 dans une famille viennoise aisée, Elise Amélie Félicie Stern se consacre à la musique avant de lui préférer la photographie. Après avoir habité à Paris, où elle épouse Evsa Model, un peintre russe d’origine juive, elle émigre en 1938 aux Etats-Unis. New York est à cette époque le centre névralgique de la photographie. Pendant une douzaine d’années, elle collabore à Harper’s Bazaar, à la grande époque d’Alexey Brodovitch et de Carmel Snow. Soupçonnée de communisme, elle perd le goût des prises de vue et devient un professeur réputé de l’Université de Columbia.
Louis Armstrong – c.1954-1956 – Courtesy of The Lisette Model Foundation, Inc.
Au delà des images, ce sont ses petites phrases que j’ai adorées dans cette expo. "Les gens imitent avant même de savoir prendre une photo. C’est un manque de respect envers eux-mêmes" souffle-t-elle avec l’accent de Karl Lagerfeld dans un enregistrement sonore des années 70 (elle est morte en 1983). On devine qu’elle devait être particulièrement pédagogue. "Photographie avec tes tripes" conseillait-t-elle à ses élèves, les incitant même à se focaliser sur ce qui leur faisait peur.
Pour ce qui est du style, tout est dans la photo ci-dessus. Le flash qui exalte les visages, la contre-plongée qui donne une impression de force, les cadrages serrés qui font entrer le spectateur dans l’image. Lisette Model traine dans les bars louches de Manhattan, y croise Weegee, s’approche de tout ce qu’on peut y trouver de gueules cassées. Son regard direct, curieux, anti-conventionnel capte leur humanité.
Défilé de mode, Hotel Pierre, New York, c. 1940-1946 – Ah c’est sûr, ça change du Sartorialist.
Elle avait une manière bien à elle de travailler, ne discutant jamais avec ses sujets avant de les photographier, ne souhaitant même pas entendre le son de leur voix. Pour elle, photographier revenait à poser des questions, auxquelles répondaient les images: "Je ne suis pas celle qui sait, mais celle qui reçoit une leçon". Hier, c’est moi qui en ai reçu une belle.
Lisette Model au Musée du Jeu de Paume, du 9 février au 6 juin 2010
1, Place de la Concorde, Paris 8e, tél: 01 47 03 12 50
Ouvert mardi de 12h à 21h, du mercredi au vendredi de 12h à 19h, samedi et dimanche de 10h à 19h
Entrée 7 euros, tarif réduit 5 euros.
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23 commentaires
sopadeajo
http://www.youtube.com/user/WayneMackeson#p/f/6/CqsOYsZlPX4
Quelques photos de La Havana et la musique de Silvio Rodriguez
sopadeajo
http://www.youtube.com/watch?v=Dg6Ucj5d4HQ&playnext_from=TL&videos=Y1PfegZ9njE
Anne ChicAndGeek
Merci Géraldine !
Je sais où je serai dimanche pendant que mon amoureux tapera dans la balle avec ses copains au carré des sangliers
Un coup de projecteur mérité et qui m’appelle.
Bisous et bon week-end à toi !
Anne
Sunny side
« Ne prends jamais ce qui ne te passionne pas ». Ne pas se demander comment les images seront perçues. Se contenter de s’approcher de son sujet. S’intéresser à son environnement. Rompre avec les conventions. Réagir à la fraicheur de l’instant. »
T’es en droite ligne raccord avec ton post d’hier sur les blogs … authenticité et coup de coeur. J’espère que tu as tes réponses. Qulles fantastiques réactions !
Merci pour cette découverte, toujours un plaisir de te lire et d’apprendre !
Olivia (à Paris)
Je n’avais pas entendu parler de cette expo et je pense que je serais passée à côté de quelque chose d’intense. Merci beaucoup. Ces photos sont vraies, belles, vraies, j’adore.
Delphine
J’adore Lisette Model et Diane Arbus. Je ne les considère pas comme des photographes du bizarre mais du vrai, de la vie réelle. Avec tous ces blogs de street photos, de mode, où l’on se met en scène dans des fausses poses naturelles pour paraitre sous son meilleur jour, j’avais oublié ce que c’était la vie, la rue, les gens. Elles (ou encore d’autres comme Robert Frank) ne cherchaient pas à avoir une bonne photo mais plus à trouver la vérité, les émotions et c’est je trouve ce qui nous manque terriblement aujourd’hui. On a oublié que les personnes sont belles telles qu’elles sont, car elles vivent, elles ne sont pas figées dans une pose. Je trouve de la beauté dans ces « gueules cassées » qui pour moi n’en sont pas, ce sont juste des personnes comme toutes celles qui marchent dans la rue. Cette exposition a été une bouffée d’air pour moi et je trouve dommage que les classifie comme photos du bizarre. Je te conseille la biographie de Diane Arbus par Patricia Bosworth qui nous en apprend beaucoup sur sa vie mais aussi sur sa façon de photographier (suivant certains préceptes de Lisette Model qui l’a beaucoup aidé à évoluer).
gelinotte
j’ai vu cet expo cet hiver. J’aime la spontanéité des clichés, l’humour. Et j’ai découvert l’univers de son mari qui lui a donné un si joli nom de famille…
Anouchka
Des photographies superbes et puissantes. Il faut que j’aille voir cette expo. Très bon article sur le sujet, bravo !
Johanna
C’est drôle que les photos du métro t’aient effrayée car de mon côté, la photo de la grosse chanteuse de jazz m’a immédiatement interpellée, pratiquement mise en transe et m’a surtout apportée une grosse bouffée de bonheur.
modepersonnel(le)
On entend la musique, les sons, les respirations, les rires, les soupirs derrière chacune de ses photos. J’aime beaucoup la première. Cette femme attend-t-elle son ami ? Est-elle triste, nostalgique… ? Peut-on la déranger ?
Merci Géraldine de nous faire partager ton enthousiasme.
isabelle
isabelle
J’ai eu aussi ta réaction en voyant les affiches de l’expo lors de mon dernier passage à Paris. Paris offre tellement d’expo passionnantes que lors d’un séjour rapide, le sélection est féroce. Si j’avais su qu’elle avait travaillé avec diane Arbus, peut-être que…
Donc j’ai raté quelque chose.
Et comme d’habitude ton compte-rendu efficace m’a « ouvert l’appétit ».
iknowa
Merci Géraldine. Je ne connaissais pas. J’aime bcp les trois photos. Je vais essayer d’y aller.
martin
Merci Géraldine. Un billet très informatif.J’ai bien envie de voir cette expo. Pas possible. J’habite aux Etats-Unis, mais Paris me manque. (?!)
Amelie Textiles
Une formidable exposition !
On avait déjà pu voir certaines de ses photos il y a quelque temps à l’occasion d’un mois de la Photo.
Certaines de ses photos de travestis ont sans doute inspiré Nan Golding.
Deux de ses phrases à méditer :
« Lorsque je pointe mon objectif sur quelque chose, je pose une question, à laquelle la photographie permettra peut-être de répondre. En d’autres termes, je ne suis pas
celle qui sait ou qui veut prouver quelque chose, mais celle qui reçoit une leçon »
« L’appareil photographique est un moyen de détection : il ne se contente pas de montrer ce que nous connaissons déjà, mais explore également de nouvelles facettes d’un monde sans cesse changeant. De nouvelles images sont partout autour de nous. Simplement, nous ne les voyons pas à cause de la routine stérile, des conventions et de la peur. Trouver ces images c’est oser regarder. Être conscient de ce qui est et de ses formes. »
Davidikus
Bravo pour ce billet ! J’apprécie d’entendre parler de la mode, et de ce qui va avec, sans se limiter au dernier sac PS mais en prenant en compte les problèmes moraux / éthiques ; et la dimension historique. Je rêve désormais d’aller au Jeu de Paume découvrir cette exposition !
http://davidikus.blogspot.com/
Gaëlle
Bon, je tente à nouveau, car mon 1er com’ n’est pas passé, apparemment…
Donc merci à toi de me rappeler que j’avais prévu d’y aller pendant ce week end prolongé ! en espérant qu’il n’y aura pas trop foule ! Au programme également, Willy Ronis à la Monnaie de Paris, tu y es allée ?
Bonne soirée
mel
Jolie article. J’aime beaucoup votre style d’écriture, et en plus vous m’avez donné envie d’aller voir cette exposition! Merci.
Sasha et moi
Contente de l’avoir découverte par ton biais. Sacrée donneuse de leçon, malgré elle.
Sao Moda
Je ne connaissais pas du tout cette photographe. Ca m’a donné envie d’aller voir, je note ça dans mon agenda !
Géraldine
Merci pour vos commentaires. Je suis contente que ça vous ait donné envie de voir l’expo.
@Sopadeajo: merci pour les liens vers les vidéos, je ne les connaissais pas, c’est super intéressant.
@Sunny Side: je n’avais pas fait le lien, mais merci
@Martin: le catalogue de l’expo est bien plus riche que l’expo, peut-être réussiras-tu à mettre la main dessus ?
@Gaëlle: non, pas encore vu Willy Ronis, mais c’est sur ma liste !
Mona Lisa
J’aime beaucoup cette phrase : « Les gens imitent avant même de savoir prendre une photo. C’est un manque de respect envers eux-mêmes ».
J’en connais une assez fun aussi de la photographe Diane ARBUS : « J’avais toujours pensé que la photographie était une occupation diabolique. C’était là un de mes sujets de réflexion favoris, et je me suis sentie vraiment perverse la première fois où je m’y suis livrée. »
faraway
J’y suis allée et j’ai beaucoup aimé ! je recommande cette expo, il faut y aller absolument !
Weegee est aussi un photographe à ne pas rater, j’ai adoré son univers.
DansMonStyle
Je ne connaissais pas ces photographes, tes commentaires ainsi que les photos m’interrogent et me donne l’envie d’en savoir plus!
Malheureusement je ne pourrais pas voir l’expo…
C’est là que je remercie internet de m’informer et me cultiver quand on ne peut pas se déplacer.