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La taille des classes peut être décisive

pour la réussite des élèves

(LE MONDE | 04.09.04)

Le nombre d'élèves par classe a une influence décisive sur la réussite scolaire. Telle est la
principale conclusion d'un travail inédit de l'économiste Thomas Piketty, qui s'est appuyé sur
une nouvelle méthode de travail statistique. Le chercheur s'oppose ainsi au discours ambiant
sur la question, qui conclut qu'à moins d'une baisse drastique des effectifs, inenvisageable
pour des raisons budgétaires, la réduction des effectifs, telle qu'elle est esquissée dans les
zones d'éducation prioritaire (ZEP), n'est pas cruciale pour combattre les inégalités. M.
Piketty souligne que si l'on souhaite rester à budget constant, une réducation de la taille des
classes dans les établissements défavorisés aurait un effet sensible sur les résultats, tandis
qu'une légère augmentation des effectifs dans les autres écoles ne les pénaliserait pas.
La rentrée scolaire est le cadre rituel des plaintes convergentes des parents sur les classes
surchargées et des enseignants sur l'insuffisance des moyens qui leur sont consacrés. Dans
ce contexte, le travail que vient d'achever l'économiste Thomas  Piketty sur 

"l'impact de la

taille des classes et de la ségrégation sociale sur la réussite scolaire dans les écoles
françaises" 

devrait relancer le débat sur les politiques à mettre en œuvre pour réduire les

inégalités scolaires. 

"Le discours ambiant depuis plusieurs années, c'est de dire que cela ne

sert à rien d'abaisser la taille moyenne des classes de quelques élèves, que ce qui pourrait
être efficace, c'est de créer des toutes petites classes, de dix élèves ou moins. Mais cela
coûte très cher, bien sûr, et on ne peut pas le faire

, regrette le directeur d'étude à l'Ecole des

hautes études en sciences sociales (EHESS).

 En fait, c'est un discours très paresseux, certes

défendu par certains chercheurs, mais inexact."

La réduction de la taille des classes a bel et bien un impact sur les résultats scolaires, quelle
qu'en soit l'ampleur, et ce d'autant plus que les élèves concernés sont issus de milieux
défavorisés. Dès lors, elle devient un instrument efficace de réduction des inégalités à l'école.
Telles sont les conclusions de l'étude de Thomas  Piketty (consultables à partir de lundi 6
septembre sur son site 

pythie.cepremap.ens.fr

), qui a concentré son travail sur le primaire

et, plus particulièrement, le CP et le CE1.
Elles vont effectivement à l'encontre de la plupart des travaux scientifiques effectués sur le
sujet. Dans son premier avis, rendu le 1

er 

mars 2001 (

Le Monde

 du 3 mars 2001), le Haut

Conseil de l'évaluation de l'école (HEEC), alors présidé par Claude Thélot, faisait le tour des

"recherches sur la réduction de la taille des classes"

 en France et à l'étranger. Le HEEC citait

notamment huit études françaises, dont l'une plaide pour des effectifs réduits en CP, deux
contre et cinq jugent que leur influence sur la réussite des élèves n'est pas significative. Pour
être efficace, affirmait M.  Thélot, la réduction de la taille des classes doit être 

"brusque"

,

puisque 

"la politique de réduction de la taille des classes, conduite depuis trente ans, au fil de

l'eau, n'est pas efficace"

 pour la réussite des élèves. Le HECC s'interrogeait dès lors sur

l'intérêt de mener une telle politique, vu son coût, et invitait plutôt à privilégier d'autres
mesures, comme l'aide individualisée ou la formation des enseignants.

À BUDGET CONSTANT

Identifiant plusieurs biais statistiques, Thomas  Piketty a choisi de travailler d'une autre
manière. Il a ainsi pu modéliser la relation entre la taille des classes CE1 et les résultats aux
tests de CE2. Pour déboucher sur la conclusion suivante : en jouant sur les effectifs des
classes, 

"il est tout à fait possible de réduire substantiellement l'inégalité des chances

scolaires en France, pour peu qu'on le souhaite"

.

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Aujourd'hui, d'ailleurs, c'est ce que fait, à petite échelle, la France avec sa politique de zones
d'éducation prioritaire (ZEP), mise en place depuis 1982. En moyenne, les CE1 situés en
ZEP comptaient, en 1998-1999, 21,9 élèves, soit un peu moins que ceux situés hors ZEP
(23,3 élèves). Thomas Piketty a d'abord voulu savoir si ce léger ciblage, qui concerne 12,6 %
des élèves, est efficace. Pour cela, il a observé les résultats de ces élèves aux tests qu'ils ont
passés à leur entrée en CE2, en septembre 1999. Et, grâce à sa modélisation, il les a
comparés à ceux qu'ils auraient obtenus sans l'allégement des effectifs.
Les résultats permettent bien de conclure que la politique de ZEP réduit les inégalités
scolaires. En effet, dans la situation actuelle, les élèves scolarisés en ZEP répondent
correctement aux questions qui leur sont posées en mathématiques dans 58,62 % des cas, et
les autres dans 67,64 % des cas. Soit un écart de 9,02 points entre les deux catégories
d'enfants. A même nombre moyen d'élèves par classe (23,16) en ZEP et hors ZEP, l'écart
aux tests d'évaluation de début de CE2 est plus élevé, de 9,94 points au lieu de 9,02 points.
L'économiste a ensuite voulu voir ce qui se passerait si l'on donnait plus de moyens aux ZEP.
Et ce, à budget constant, c'est-à-dire pour le même nombre d'enseignants. Il a ainsi abaissé
la taille moyenne des classes de CE1 en ZEP à 18 élèves, ce qui suppose que celle des
autres CE1 passe à 24,16 élèves. L'écart des résultats aux évaluations de CE2 tombe alors à
6,08 points : il est inférieur de plus de 30 % à ce qu'il est aujourd'hui, et de près de 40 % à ce
qu'il serait si les ZEP n'existaient pas.
Ce résultat est d'autant plus intéressant que ce rattrapage ne se fait quasiment pas aux
dépens des autres élèves, ceux qui ne sont pas en ZEP et qui se retrouvent, dès lors, dans
des classes aux effectifs légèrement plus élevés. Ils voient certes leur score baisser, mais
très légèrement, puisque leur pourcentage de bonnes réponses aux tests de CE2 passe de
67,64 % à 67,43 %. 

"L'impact de la taille de la classe est dissymétrique : il est bien plus

important pour les élèves issus de milieux défavorisés que pour les autres"

, explique M.

Piketty.
Si l'on veut que les élèves scolarisés en ZEP aient les mêmes résultats que ceux qui n'y sont
pas (66,50 % de bonnes réponses), toujours à budget constant, il faut appliquer une politique
plus drastique. Et faire passer le nombre moyen d'élèves par classe de CE1 à 10,65 en ZEP
et à 27,68 hors ZEP.
A lire ces résultats, on peut regretter que les gouvernements qui se sont succédé depuis
trente ans n'aient pas profité de la baisse naturelle de la démographie pour cibler les baisses
d'effectifs sur les zones défavorisées. Incontestablement, la taille des classes a été réduite
sur cette période : entre 1966 et 1999, le nombre d'élèves par classe est passé de 43,7 à
25,5 en maternelle, de 28 à 22,3 à l'école élémentaire, de 27,5 à 24,2 au collège et de 30,8 à
28,8 au lycée. A part la mise en place des ZEP il y a plus de vingt ans, rien n'a été fait pour
orienter cette diminution naturelle. Elle a donc été relativement uniforme.

"Si la baisse de 0,5 élève par classe de primaire sur les seules dix dernières années avait été
consacrée prioritairement à une réduction de la taille des classes dans les 10 % d'écoles les
plus défavorisées, en maintenant constante la taille des classes dans les autres écoles, alors
on aurait pu réduire de 5 élèves la taille moyenne des écoles défavorisées"

, a calculé M.

Piketty. Le vieillissement de la population et la réduction du nombre d'élèves vont se
poursuivre. 

"Il n'est pas trop tard pour réfléchir autrement"

, lance Thomas Piketty.

Virginie Malingre