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Association de capoeira PALMARES de Paris.
Entretien de Eduardo Veiga à São Paulo le 20 octobre 1999, réalisée et mise en forme par Luiz Jean Lauand.
Eduardo Veiga, batisé par Bimba du nom de guerre Duquinha
,
est un capoeiriste de la vieille garde et était disciple de Mestre Bimba. Il reste
professeur en retraite de l'Université Fédérale de Bahia. Il a aussi
enseigné – en applicant la “philosophie de l'éducation de la
capoeira” – au Centre de Formation de Professeurs du gouvernement de l'État
de Bahia.
“Ou mato ou morro :
ou je me cache dans le maquis (mato ),
ou je m'enfuis vers le bidonville (morro )1...”
LJ: Peu de capoeiras2 réfléchissent sur leur art et peu d'intellectuels connaissent la capoeira “de l'intérieur”. Tu as été assistant de Maître Bimba et, d'autre part, vice-recteur d'université. Dans cette situation privilegiée, pourrais-tu nous parler de tes débuts dans cet art et de la capoeira comme vision-du-monde?
EV: Avant toute chose, je voudrais faire de mon témoignage un hommage à mon professeur de capoeira, et, par conséquent, de vie, le grand Maître Bimba, dont le centenaire de la naissance sera célébré le 23 novembre (1999).
J'ai commencé à jouer la capoeira au milieu des années 1940. Je veux observer tout de suite que la capoeira se “joue”; ce n'est pas un “art martial” aux origines agressives; nous y reviendrons. J'étais alors assez jeune, j'étais élève du Collège Mariste de Salvador. Je me suis inscrit dans la capoeira comme activité complémentaire à ma formation personnelle. Choisir Maître Bimba était suivre la voie naturelle de l'excellence : Bimba était déjà reconnu comme un grand capoeiriste.
Aussi curieux que cela puisse paraître, l'Académie de Maître Bimba se trouvait à l'époque dans une rue connue pour la prostitution, la rue des Orangers3. Marcher dans cette rue, c'était déjà apprendre; pour arriver à l'académie, il fallait être disposé à affronter d'éventuels problèmes. Le trottoir était étroit, une seule personne pouvait passer et il n'était pas rare qu'un “vrai homme”4 – du genre de ceux des quartiers chauds – provoque les passants... Donc nous marchions toujours au milieu de la rue.
Ainsi, le lieu même de l'académie enseignait déjà deux leçons très utiles à la mentalité du capoeira2 :
Le rituel d'enseignement de Maître Bimba commençait par une sélection rigoureuse de ceux qui s'inscrivaient et de ceux qui pouvaient continuer dans l'école, aussi bien en termes de capacité physique qu'en termes de comportement envers les camarades et envers le maître. C'est pourquoi l'école avait un Règlement, une espèce de code interne qui guidait la conduite des disciples, peut-être le premier code écrit pour l'apprentissage du comportement du capoeiriste; un tel “code” serait impensable, par exemple, dans la capoeira de Angola, extrêmement fluide et spontanée... Dans ce règlement, on trouvait des normes comme par exemple, garder le silence pendant la pratique et observer attentivement le jeu des camarades5. Maître Bimba était un éducateur très sensible aux phases de progrès des élèves, il savait extraire le potentiel de chacun et évaluer ses possibilités.
La phrase que j'ai inventée, un peu en plaisantant,
Ou mato ou morro
(au sens de “Ou je me cache dans le maquis,
ou je m'enfuis dans le bidonville...”), indique, si on la prend au pied de la lettre (“Ou je tue,
ou je meurs...”) une attitude téméraire de courage irresponsable; tandis que l'on pourrait
confondre l'interprétation plaisante avec de la lâcheté pure et simple. En
vérité, la capoeira n'est ni l'une, ni l'autre. La capoeira apparaît comme une
objectivation, comme une concrétisation de la mentalité de l'esclave, soumis à une
situation d'injustice déséspérée, sans avoir personne à qui recourir contre
l'arbitraire de ceux qui le dominent. Quelle défense convient dans une telle situation? Comment survivre?
C'est ainsi que s'est développée, d'une façon plus ou moins inconsciente,
mais profondément rationnelle, une technique, un art, un jeu, un moyen (ou peut-être le seul moyen)
d'être et de vivre ou survivre. Ceci correspond à deux situations vécues historiquement :
tuer ou mourir), et
Cette dernière attitude est la base de la capoeira : se soustraire ou, au moins, chercher à minimiser les horreurs de l'esclavage, à la recherche d'une vie libre et digne, dans la mesure du possible, en évitant l'affrontement inégal. Il est intéressant à ce propos d'observer que les Hollandais7 s'étonnaient déjà de la familiarité, de la facilité, de la désinvolture avec laquelle les esclaves se déplaçaient à travers les bois et les collines... C'est ainsi que se comprennent certaines “règles” (naturellement, non écrites...) de la capoeira dans sa forme originelle, celle qui a été à l'origine de grands maîtres comme Bimba, comme par exemple:
Naturellment, il y a plusieurs niveaux de “capoeirisme”, adaptés aux divers degrés de “parcage”8 social... En tous cas, cette malice pour la lutte, cet art qui est aussi une technique, trouve une représentation symbolique dans le jeu entre amis, qui s'amusent à la capoeira (maintenant transformée véritablement en art), entre rythmes, danses et chants:
“Água de beber. |
’Faut boire de l'eau |
L'esthétique a remplacé la violence et, aussi en ce sens, on peut parler d'une éducation par la capoeira, independamment de n'importe quelle intention de defense ou d'attaque. La capoeira survit même en dehors d'un contexte d'esclavage: elle gagne une vie propre, pour ainsi dire, et s'émancipe des situations inhumaines qui sont à son origine.
D'un autre côté, beaucoup d'aspects des relations de travail au Brésil (et, comme on le sait, aussi du syncrétisme religieux ou du foot-ball etc. etc.) sont apparentés à la mentalité que nous sommes en train de décrire. Il ne s'agit pas seulement d'esclavage formel; à la limite, un travailleur mal payé qui fait la grève du zèle et s'efforce consciemment d'en faire le moins possible (en conservant, naturellement, en présence du chef, les formes externes des bonnes dispositions, de la sollicitude, de l'intégration dans l'entreprise, etc. etc.), “pratique la capoeira”. Un garçon de courses est chargé d'aller remettre une correspondance urgente à une adresse pour laquelle il y a une heure de trajet. Il obéit volontiers à l'ordre, sort rapidement, et, à peine tourné le premier coin de rue, commence à améliorer son jonglage, en faisant tourner le dossier avec art et maîtrise sur la pointe de son index droit; il se repeigne devant les vitrines des boutiques; à la première salle de jeux, il développe au flipper d'autres capacités. Quand il rentre après trois ou quatre heures, il se plaint d'un mal de tête (la circulation infernale, les manifestations de grèvistes...) et demande à la secrétaire le remboursement d'un soit-disant taxi qu'il a dû prendre (“comme le chef a dit que c'était urgent...”).
De ce point de vue, et en tant d'autres aspects, la capoeira – totalement incorporée à la mentalité nacionale – est une importante clé de l'interpretation du Brésil. Il ne s'agit pas de “resquille”9 ou de paresse, mais d'un phénomène complexe qui inclut un régime d'esclavage qui persiste sous une forme déguisée: pourquoi l'esclave s'impliquerait-il dans quelque chose qui ne lui appartient ni ne lui profite en aucune manière? Et n'oublions pas que “esclave” est un concept relatif: il ne cesse d'y avoir des esclaves que lorsqu'il n'y a plus de garde-chiourme10... C'est dans cette ligne que se trouve la pensée aigüe d'auteurs comme Anande das Areias et Nestor Capoeira11.
Il est evident que la capoeira traduit des réalités très distinctes de celles véhiculées par les arts martiaux, disons, comme le jiu-jit-su, le karaté ou le ninjutsu & co. Le Brésil est différent; le Brésilien évite le choc frontal: il peut te détruire, mais toujours avec l'air d'une victime ou de qui ne cherche rien du tout...
Évidemment, toute cette mentalité dont nous parlons peut dégenerer en une grave situation de chaos – comme il est arrivé à la fin du siècle dernier avec les “maltas”12 capoeiristiques de Rio de Janeiro ou comme il arrive aujourd'hui avec certains politiciens brésiliens... D'où la valeur de Maître Bimba qui, comme dirigeant charismatique, a cherché a rationaliser un code d'honneur et à créer une elite de la capoeira: pratiquer l'art de l'esclave avec l'âme du prince! Celui qui ne se consacrait pas sérieusement à l'étude ou au travail, était exclu de l'académie. Aussi bien, soit dit en passant, beaucoup d'esclaves nègres venaient de familles nobles africaines et, pour certains, avec un niveau culturel très superieur à celui de leurs maîtres.13
LJ: Quel autres aspects soulignerais-tu à propos des pratiques de la capoeira? Et que dirais-tu de la capoeira comme recours educatif?
EV: J'étais très jeune à l'époque; la préparation pour les dificultés de la vie a été un aspect important de ma formation. En langage de capoeira, “tirer14 un élève” signifie l'instruire. Vous autres, professeurs de philosophie de l'éducation, vous pouvez explorer les riches suggestions de ce terme : un enseignement dans lequel le professeur s'adapte à la capacité du disciple, comme qui “tire” pour faire afleurer le jeu propre à chacun. Eh bien, qui a eu la chance d'être “tiré” par maître Decanio, se souvient certainement comment, dès que l'entraînement commençait, il cherchait à alerter par une tape soudaine et rapide, sans blesser, mais suffisante pour rendre mal à l'aise ou furieux celui qui la recevait. À la leçon suivante et par la suite autant de fois que nécessaire, Decanio répétait ce geste... C'était un stimulant plutôt amer, cependant, en deux ou trois fois – ou un peu plus – le remède atteignait l'effet desiré. Et Decanio cherchait déjà un autre pour lui administrer son remède peu conventionnel et amer. Nous, les apprentis, nous prenions conscience du fait que celui qui n'observe pas bien, “prend des coups dans la figure”, littéralement. Il nous enseignait à rester attentif aux possibilités d'agression de l'adversaire.
Un autre souvenir “pédagogique”. Les entraînements de vigilance de maître Bimba étaient moins drastiques, mais plus excitants. Il avait un sifflet. Dans la situation d'entraînement, deux élèves devaient s'affronter. L'un des deux prenait une arme avant la lutte, mais ne pouvait s'en servir qu'au coup de sifflet. Le signal valait aussi bien pour l'autre: au coup de sifflet, il pourrait réagir. Bien sûr, seul Maître Bimba connaissait le moment où le signal allait retentir. Il le donnait selon l'apprentissage. C'est que pendant la lutte, il y a des moments opportuns, et d'autres qui ne le sont pas, pour sortir une arme. On peut en dire autant du moment de s'en emparer ; au point que, même si l'on est capoeiriste, l'autre pourrait vous prendre l'arme, prévoyant le moment où vous allez la sortir. Évidemment, seulement après l'ordre d'action autorisée par le sifflet. Dans cette situation, la capoeira fonctionne aussi comme une métaphore de la vie: il y a un moment juste pour agir pour attaquer ou défendre.
Une troisième situation concerne l'entraînement de deux débutants, qui avec le temps améliorent graduellement la précision, la vélocité et la grâce dans les séquences de coups. Les élèves les plus avancés percevaient que les formés, quand ils les “tiraient” vers plus de vitesse, avaient soin de ne pas les atteindre, arrêtant le coup à quelques centimètres du point d'impact. Ce geste rendait possible la progression de l'élève dans une séquence de coups et de contre-coups. C'est pourquoi les semelles et les pointes des baskets noires de Achille Gadelha étaient bien connues des élèves. Elles faisaient beaucoup sursauter, à tout instant elles se trouvaient devant la poitrine ou le visage perplexe des apprentis. C'était le resultat des “benédictions” (coup de pied frontal) et “marteaux” (de côté) ou “armadas soltas estancadas” (coup tournant). N'est-ce pas là le rôle de tout véritable professeur et éducateur qui aide l'élève en lui montrant les difficultés et le moyen de les surmonter, sans le massacrer, mais en le faisant pas mal suer? C'est dans ce climat de solidarité et de confiance, qu'au son du berimbau on chante vraiment:
“Água de beber. |
’Faut boire de l'eau |
Il n'est pas toujours approprié de retenir un coup. Dans une “armada solta”, au cas où on plie la jambe au milieu du chemin pour ne pas blesser l'adversaire, ça peut ne pas être une bonne alternative. La perception doit être concentrée aussi sur l'ébauche de défense que l'élève fait... Et le temps est très court pour décider que faire. Dans le cas où l'on applique un balayage (“rasteira”) aux mains pendant les “aús” (rotation descendante en remplaçant l'appui des pieds par les mains) successifs, la façon correcte pour celui qui applique le balayage est de le faire à grande vitesse, parce que sinon il ne trouvera rien à tirer. Cependant, s'il trouve la main appuyée, il faut la faire glisser avec une grande vigueur. Ça facilite le “rolê” (virage) de defense de l'adversaire. Cet entraînement est fait dans le cours de spécialisation15. En fonction de ce que je viens d'expliquer, “capoeirer”, c'est savoir:
gingado
est comme une rampe
de lancement pour envoyer un violent coup de tête ou se défendre par un
aú avec rolê
pour sortir du rayon d'action de l'adversaire, qui vous cherche mais ne sait plus où vous trouver. En se
balançant dans la ginga, le capoeira2
détermine les distances les plus appropriées, y compris pour “attacher le
jeu”17 de l'adversaire. On peut décrire le
gingado
autant qu'on veut, il y a toujours de l'inattendu chez l'adversaire: il cache des ruses
et peut même ne rien vouloir dire du tout. Il simule et dissimule autant qu'il chache ou engendre des coups ou
des défenses. C'est dans le gingado
que les ornements et les feintes s'harmonisent. Quand
il est bien fait, l'adversaire cherche, et ne trouve rien ; ou bien trouve, sans s'y attendre, ce qu'il ne cherchait
pas... C'est de la malice pure.Tous ces enseignements sont centrés sur le modèle d'être et d'apprendre de Maître Bimba (sans rien enlever aux autres grands maîtres), qui sans aucun doute est une référence ferme sur la question.
Moi, dans ma vie personnelle aussi comme professeur (et professeur de professeurs), je reviens sans cesse à la capoeira comme metaphore de la vie: vivre, c'est “capoeirer”. Et il y a aussi une mentalité de capoeira, même quand tu n'est pas l'opprimé. Une fois, il y a trois ans, un voleur est entré dans ma maison: moi et ma femme nous nous sommes réveillés alors que l'individu nous menaçait avec une barre de fer. Je ne sais pas comment, d'un bond j'étais à côté de lui ; surpris, il s'est enfui. Je lui ai couru après, tout-à-fait furieux, mais seulement jusqu'à la porte : au delà, je l'ai “poursuivi” un peu, mais pas pour le rattraper (c'est de la capoeira pure), c'était seulement pour l'encourager à fuir, rapidement et loin. Comment ai-je réussi à faire ce bond? Je n'en sais rien! Inconsciemment, je m'étais programmé (la capoeira est observation et antiecipation) pour, dans ce genre de situation, “me transformer en bête” (un voleur, par definition, n'a pas tellement peur d'un homme, mais il n'y a pas d'homme qui n'aie pas peur d'une bête...)
Pour résumer, je dirais que oui, la capoeira represente une vision du monde, marquée par un ensemble d'attitudes de défense en situation de forte inégalité : que l'opposant soit un garde-chiourme10 ; un gouvernement (il y a des entreprises qui pratiquent contre le gouvernement la capoeira fiscale...) ; un professeur, père ou sergent oppresseur ; un kidnappeur (j'ai lu recemment dans l'Estadão19 les conseils de la police au cas où vous seriez enlevé et c'était un “manuel de capoeira”: ils conseillaient par exemple, de ne pas dévisager, ne pas discuter, ne dormir que quand le surveillant est éveillé et vice-versa; etc.); ou même de défense contre le monde comme un tout, toujours menaçant pour la fragilité humaine. Pour cette raison, on rencontre des aspects de capoeira dans n'importe quelle culture dans laquelle il y a des situations d'oppression. La capoeira ne se base pas sur l'agression positive ni sur la simple résignation passive; c'est la défense rationelle portée à la limite du possible, sous l'apparence d'un jeu, fait de ginga et d'amusement.
par Pol Briand.
1. Ou mato ou morro :
A première vue, la phrase signifie
ou [ je ] tue, ou [ je ] meurs
. Mais mato n'est pas seulement
je tue
mais aussi toute espèce de végétation difficile à
pénétrer; et morro, en plus de signifier je meurs
, désigne
une coline escarpée dans la ville, où construisent leurs maisons
ceux qui ne peuvent payer pour une habitation normale. Eduardo de Andrade Veiga explique son jeu de mots
au cours de l'entretien.
2. Dans le cours de l'entretien, l'auteur utilise en général
le terme capoeirista
, pour le pratiquant du jeu de capoeira, sauf en cinq occasions:
capoeira;
a mentalidade do capoeira(la mentalité du capoeira);
a malícia do capoeira(la malice du capoeira);
gingando, o capoeira determina as distâncias...(en faisant les pas de la ginga, le capoeira détermine les distances);
o capoeira é aquele que é destro no manejo de armas(le capoeira est celui qui est habile au maniement des armes).
Dans tous ces cas, il s'agit d'une personne qui a incorporé des savoirs-faire, une attitude ou mentalité
qui
s'exercent ou peuvent s'exercer dans des situations de la vie courante, hors du jeu de capoeira. Comme les auteurs sont des
professeurs et philosophes, qui attachent professionnellement une importance aux mots exacts, nous croyons devoir les suivre. Quand
le texte original porte capoeira au masculin, désignant une personne, nous le laissons tel quel, en
italique.
Ces mots datent d'une époque où la différence des genres se marquait avec plus de vigueur, et où
il était fort rare qu'une femme s'intéressât au jeu de capoeira. Les anciens citent Maria Fogareira,
Doze-Homens et autres; ces quelques exemples ne suffisaient certainement pas pour bouleverser la répartition des vertus
entre les sexes. Nous ne savons pas comment on appellait ces femmes braves, mais on ne disait certainement pas une capoeira
et bien plutôt une femme mâle (mulher macho) qui joue même la capoeira...
3. rua das Laranjeiras, renommée depuis rua Francisco Muniz Barreto. Cette rue se trouve dans la ville haute, à proximité du Terreiro de Jesus. La rénovation urbaine des annés 1910 à 1930 n'a pa touché cette partie du centre historique de Salvador, que les plus riches avaient déjà abandonnée pour des régions disposant de plus d'espace. Les activités commerciales et professionnelles l'ont petit à petit désertée. Dans les années 1990, des opérations de remise en état des bâtiments, dont certains datent du dix-huitième siècle, l'expulsion des prostituées et l'implantation de commerces spécialisés ont favorisé l'affectation presque exclusive de cette zone à la culture et au tourisme.
4. valentão, littéralement
très-brave
; homme capable de prouver son courage dans l'affrontement physique, et qui
éventuellement en cherche des occasions.
5. D'après le Dr. Decanio,
La composante éthique de l'enseignement de Maître Bimba dans son “académie” était implicite dans sa pédagogie, montré par l'exemple dans son comportement et plus tard, dans les années 1950, explicité par moi en forme de “réglement”, exposé dans un cadre sur le mur opposé à l'entrée de la salle. [texte original]
Ce Réglement
se trouve dans le livret accompagnant le
disque Curso de Capoeira Regional
, que Maître Bimba a enregistré vers 1962 chez J.S. (Jorge Santos) Discos.
En voici la traduction:
Règlement
Ce Règlement a été élaboré pour Toi et pour ton profit. Souviens-toi que tu vas pratiquer l'Éducation physique et acquérir une préparation physique de base, ressort principal pour la pratique efficace de quelque sport que ce soit.
Le Maître Bimba et tes camarades plus anciens n'ont qu'un désir: t'améliorer dans le délai le plus court.
Pour ton propre bien :
- Arrête de fumer. Il est interdit de fumer pendant les entraînements.
- Arrête de boire. L'usage de l'alcool porte préudice au métabolisme musculaire.
- Évite de montrer tes progrès à tes amis d'en dehors de la “ronde” [ou cercle] de capoeira. Souviens-toi que la surprise est la meilleure alliée dans un combat.
- Évite la conversation pendant les entraînements. Tu payes pour le temps que tu passes dans l'académie; et en observant les autres lutteurs, tu apprendras plus.
- Essaye de toujours faire la ginga.
- Pratiques chaque jour les exercices fondamentaux.
- N'aies pas peur de t'approcher de l'adversaire. Plus tu resteras près, mieux tu apprendras.
- Garde toujours le corps détendu.
- Mieux vaut prendre des coups dans la “ronde” que dans la rue...
6. Les maîtres d'esclaves français appelaient
marrons les esclaves déserteurs
en fuite dans les bois. Comme au Brésil et à
la Jamaïque, ceux-ci formaient quelquefois des communautés stables. Au Brésil, on
désignait leurs habitations dans la forêt du nom de quilombos, un mot d'origine
Bantoue (Afrique au Sud de la forêt équatoriale), qui signifie campement, village.
7. Les Hollandais ont occupé une partie du Nord-Est du Brésil, principalement le Pernambouc, de 1630 à 1654.
8. “encurralamento”. Mise dans le curral, enclos où on enferme le bétail.
9. “malandragem”. C'est le meilleur équivalent français que nous ayons trouvé. La malandragem est le mode de vie du malandro, une figure de débrouillard peu amant du travail et souvent en délicatesse avec la Loi. Pour les moyens de subsistance, le malandro est tout-à-fait semblable aux Pieds-Nickelés, ces personnages créés par Louis Forton à la Belle-Époque, en 1908, et dont la carrière en bande dessinée s'étend jusqu'aux années 1970. Mais les femmes et la musique jouent un bien plus grand rôle dans la légende du malandro brésilien que dans les aventures des trois débrouillards français.
10. feitor. Cet employé des
plantations était chargé de diriger la main-d'oeuvre esclave, aux champs et dans ses autres
tâches. Le signe et l'instrument de son autorité était le fouet, dont il faisait
régulièrement usage. Sur les plantations françaises des Antilles, l'intendant
avait les fonctions du feitor; mais le titre d'intendant est pour nous plus proche de
celui d'administrateur que de celui de bourreau; aussi nous avons choisi de traduire feitor
par garde-chiourme. C'est un terme qui vient du bagne, et non de l'esclavage; c'est le lieu, en France,
où les châtiments corporels allant jusqu'à la mort ont subsisté jusqu'au 19º
siècle (voir sur Gallica François Vidocq,
Voleurs, physiologie de leurs moeurs et de leur langage, Paris:Chez l'auteur, 1837, article Boye
),
et le garde-chiourme conserve pour nous un aspect cruel qui correspond au souvenir laissé par
les feitores au Brésil.
11. Anande das Areias – capoeiriste de São Paulo, auteur de O que é a capoeira, 1983 (sous le nom de Almir das Areias); Nestor Capoeira (Nestor Sezefredo dos Passos), capoeiriste de Rio de Janeiro, du groupe Senzala, auteur d'un disque, Galo já cantou, et de plusieurs livres, à la fois didactiques et de réflexion, dont le Petit manuel du joueur de capoeira (traduit en français) et Capoeira os fundamentos da malícia.
12. “maltas”. Pendant la deuxième moitié du 19º siècle, et surtout après la guerre du Paraguay (1865-1870), les bandes de capoeiras, qui aimaient perturber l'ordre dans les rues et les places de la capitale brésilienne, ont préoccupé considérablement la police et les journaux. Voir les documents et leur discussion dans nos pages historiques.
13. Un niveau culturel très au dessus de celui de leurs maîtres, c'est aussi la situation des auteurs, comme de la plupart des intellectuels brésiliens et de beaucoup d'autres pays, qui malgré des années d'études spécialisées et une ouverture d'esprit qui leur permet d'avoir une vision du monde plus globale, ne jouissent en réalité, par rapport aux détenteurs des positions de contrôle de la sphère économique, que d'un pouvoir d'influence à vrai dire limité.
14. “puxado”, littéralement tiré
,
mais aussi développé
. On l'utilise aussi dans le candomblé, pour l'instruction des novices
[Maria puxou o barco de iaôs do terreiro de D. Juliana
].
15. “curso de especialização, c'est à dire après l'apprentissage conclu par la formation.
16. Sans oublier le pandeiro qui répond au berimbau et le soutient. Voir le documentaire de Pierre Kast, 1966.
17. “amarrar o jogo”. Amarrar signifie attacher, ficeler, maintenir.
Cette métaphore très courante parmi les capoeiristes de la vieille garde s'utilise dans une quantité de sens
légèrement différents. Il semble que les capoeiristes modernes valorisent beaucoup moins le contrôle
(de soi, de l'autre) que leurs aînés. On attache
son propre jeu, et aussi à la musique. Le rythme
est dit amarrado, quand il donne des signes d'accélération, tout en restant toujours relativement
lent. Cela ce fait en retardant les frappes correspondant à certains points du cycle, et en rattrappant le temps
dès la frappe suivante. La capoeira se transmet surtout par le jeu et secondairement par la parole, et dans notre modeste
expérience, ne nous souvenons d'aucune autre occasion, ni ne connaissons aucun autre texte, où
le terme ait été appliqué de façon transitive à l'autre, à l'adversaire.
18. Beacoup de capoeiristes condamnent l'usage des mains. L'importance
que Eduardo de Andrade Veiga donne à ces coups est peut-être dûe à l'époque de son
apprentissage. Nous nous souvenons que le capoeiriste Vitor H.U., affrontant sur le ring Maître Bimba au cours des
spectacles de capoeira-lutte de 1936, le 22 mars, abandonna le combat parce que ce dernier l'avait frappé d'un
sopapo galopante, qui selon lui ne faisait pas partie de la capoeira (Voir A Tarde, 24 mars 1936,
cité par Frede Abreu, Bimba é Bamba – a capoeira no ringue, p.76). À
cette époque, la Regional de Maître Bimba cherchait à se différencier de la capoeira
traditionnelle ; il est donc probable qu'il ait insisté sur ces coups. C'était d'autant plus
important que, dans une optique de défense personnelle, il faut savoir se défendre contre eux, ce qui
implique qu'on s'y entraîne dans l'académie. Même si, comme Maître Pastinha, on considère
que c'est une faute, dans le jeu de capoeira, d'utiliser les mains
(É falta usar as mãos
, Manuscrits, vers 1960, p.25), ou si, comme beaucoup d'autres,
on appelle ignorance
ce genre d'attaque peu élégante, il n'en reste pas moins qu'une vertu majeure
du capoeiriste est de ne pas se laisser vaincre par l'ignorance. Toutefois, l'habileté du capoeiriste se signale
par son usage des pieds, notamment pour déséquilibrer son adversaire
(rasteira), et de la tête.
19. Estadão. Appellation usuelle du quotidien O Estado de São Paulo, un des principaux journaux de cette ville qui est le plus grand centre économique du Brésil.