F
ondation pour la
R
echerche
S
tratégique ⹠27, rue Damesme ⹠75013 PARIS
Tél. : 01 43 13 77 77 ⹠fax : 01 43 13 77 78 ⹠http ://www.frstrategie.org
Siret 394 095 533 00045
âą
TVA FR74 394 095 533
âą
Code APE 732Z
Fondation reconnue d'utilitĂ© publique â DĂ©cret du 26 fĂ©vrier 1993
« LâĂąge nuclĂ©aire a rĂ©duit la stratĂ©gie Ă la dissuasion,
et a réduit la dissuasion à un exercice intellectuel
ésotérique »
Henry Kissinger,
Diplomacy
La logique de dissuasion est-elle universelle ?
Bruno Tertrais
Paris, le 25 avril 2008
N° 214/FRS/DISSUAD
MinistĂšre des Affaires Ă©trangĂšres â
Centre dâAnalyse et de PrĂ©vision (CAP)
Lettre n° 3455/DAF/1/INT du 22 novembre 2007
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
2
S
OMMAIRE
I
NTRODUCTION
....................................................................................................................... 3
1
â
L
ES PRINCIPES DE LA DISSUASION
:
UN MECANISME UNIVERSEL
......................................... 4
2
â
L
A PRATIQUE DE LA DISSUASION
:
LIMITES ET INCERTITUDES
............................................14
2.1 â
Limites et incertitudes de la dissuasion : la dimension psychologique .............14
2.1.1 â
Les limites de la rationalité...............................................................................14
2.1.2 â
Quelques cas particuliĂšrement difficiles ...........................................................15
2.2 â
Limites et incertitudes de la dissuasion : la dimension stratégique ..............19
2.2.1 â
La bonne comprĂ©hension de lâadversaire.........................................................19
2.2.2 â
La réceptivité à la menace de dommages massifs contre le territoire...............23
2.2.3 â
Lâexistence dâun centre de dĂ©cision unique et dâune communication efficace...25
C
ONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
...................................................................................28
3.1. â Conclusions .........................................................................................................28
3.2. â Recommandations ...............................................................................................28
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
3
Introduction
Ce projet de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), soutenu par le Centre
dâanalyse et de prĂ©vision (CAP) du ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres, a pour but de
permettre de mieux appréhender la validité de la théorie de la dissuasion, et des
doctrines qui en sont issues, dans des situations plus complexes et plus diverses que par
le passé. Il a également pour but, de ce fait, des arguments dans les débats sur la lutte
contre la prolifĂ©ration nuclĂ©aire et sur lâavenir de la dissuasion nuclĂ©aire.
Les interrogations sur lâimportance de la dimension culturelle dans lâexercice de la
dissuasion nâont commencĂ© que dans les annĂ©es 1970. Auparavant, comme le rĂ©sume un
analyste, lâon estimait gĂ©nĂ©ralement que « les armes nuclĂ©aires Ă©taient si destructrices
quâelles rendaient les diffĂ©rences culturelles non pertinentes ». Câest ce qui a permis
lâĂ©mergence de la thĂ©orie de la dissuasion, « inspirĂ©e par les prĂ©supposĂ©s (lâexistence
dâacteurs rationnels homogĂšnes) et la mĂ©thodologie (la thĂ©orie des choix rationnels) de
la science économique ».
1
La montĂ©e en puissance de certains grands pays (Chine, Inde), lâĂ©mergence de
nouveaux Ătats possĂ©dant lâarme nuclĂ©aire (CorĂ©e du Nord, Pakistan) ou fortement
soupçonnĂ©s de vouloir sâen doter (Iran) ont donnĂ© un tour nouveau Ă ce dĂ©bat. La
possibilitĂ© dâune nouvelle « vague » de prolifĂ©ration nuclĂ©aire, notamment au Moyen-
Orient et en Asie du nord-est, rend la question de plus en plus pertinente.
Alors que certains stratĂšges ou responsables occidentaux continuent Ă penser que
« lâatome rend sage », que peut-on dire de la perception de la dissuasion des pays
caractérisés par une culture nationale essentiellement non occidentale ? La recherche
doit pour cela procĂ©der Ă lâexamen de plusieurs questions distinctes : celle de la
rationalitĂ© des acteurs, câest-Ă -dire de leur accessibilitĂ© au calcul coĂ»ts/bĂ©nĂ©fices, etc. ;
celle de la réceptivité des acteurs à la logique de la dissuasion par menace de
reprĂ©sailles ; celle de la comprĂ©hension par ces acteurs des intĂ©rĂȘts et valeurs des pays
occidentaux, ainsi que de leurs doctrines nucléaires ; celle de leurs propres pratiques de
dissuasion, lorsquâelles existent et peuvent ĂȘtre connues.
1
Michael C. Desch, « Culture Clash: Assessing the Importance of Ideas in Security Studies », International
Security, vol. 23, n° 1, été 1998, p. 1454.
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
4
1 â
Les principes de la dissuasion : un mécanisme universel
On peut affirmer quâil y a sans nul doute une part dâuniversalitĂ© dans la logique de la
dissuasion. Cette part concerne les principes mĂȘmes qui la sous-tendent.
La dissuasion consiste Ă prĂ©venir un acte en persuadant lâacteur concernĂ© que les coĂ»ts
dâune telle action excĂšdent ses bĂ©nĂ©fices. Ces coĂ»ts peuvent ĂȘtre directs (dissuasion par
interdiction) ou indirects (dissuasion par reprĂ©sailles). Or la logique de dissuasion est Ă
lâĆuvre au sein de la plupart des structures sociĂ©tales. DĂšs lâenfance, lâĂȘtre humain
apprend quâil peut ĂȘtre puni sâil effectue une action rĂ©prĂ©hensible. Les fondements de
cette logique se trouvent dans lâinstinct de survie : elle est ainsi accessible Ă certains
animaux, mĂȘme relativement bas sur lâĂ©chelle de lâĂ©volution.
2
Les codes pénaux relÚvent, pour partie, de la dissuasion, et sont au nombre des modes
de rĂ©gulation les plus anciens de la civilisation (code dâHammourabi). On peut
dâailleurs faire remonter la conceptualisation de la notion de dissuasion Ă la naissance
de la criminologie moderne, incarnée par les travaux des philosophes Cesare Beccaria
(1738-1794) et surtout Jeremy Bentham (1748-1832). Cherchant à définir une doctrine
sociale de « lâutilitarisme », la rĂ©flexion de ce dernier sur le systĂšme pĂ©nal le conduisit
notamment à proposer le terme de « determent » (la punition comme moyen de
décourager le crime), resté en usage courant dans la langue anglaise jusque dans les
années 1950.
Les rĂ©gimes autoritaires ne sont pas moins susceptibles que les autres dâĂȘtre accessibles
à la logique de dissuasion : en effet, la personnalisation du pouvoir qui les caractérise
frĂ©quemment signifie que le dialogue dissuasif peut sâen trouver facilitĂ©. Il en est de
mĂȘme pour les rĂ©gimes animĂ©s par une forte idĂ©ologie nationaliste, pour lesquels la
survie, le dĂ©veloppement et lâexpansion de la nation sont des objectifs primordiaux,
quâil faut donc prĂ©server.
3
Il semble Ă©galement possible dâavancer que les acteurs se situant au sommet de la
chaĂźne du pouvoir politique (qui sont ceux que lâon cherche, dans la dissuasion nuclĂ©aire, Ă
influencer
4
) sont, par définition, susceptibles de savoir procéder à un calcul coûts/béné-
fices. Ils sont donc, de ce point de vue, des acteurs fondamentalement rationnels. Sauf
cas extrĂȘme, mĂȘme un jeune officier parvenant brutalement au pouvoir Ă la suite dâun
coup dâĂtat a dĂ» mettre en Ćuvre, pour son ascension au sein du systĂšme, des stratĂ©gies
rationnelles. Un commentateur précise à propos de la Corée du Nord : « pour vous
frayer un chemin jusquâau sommet des cercles dirigeants du Parti des travailleurs
2
Cf. les expĂ©riences de laboratoire avec des rats qui font lâapprentissage de la « rĂ©compense » et de la
« punition ».
3
« Les nationalistes sont attentifs au sort de leur peuple et de leur Ătat, qui doivent perdurer pour quâeux-
mĂȘmes puissent prospĂ©rer ». Noah Feldman, « Nuclear holocaust: A risk too big even for martyrs? », The
International Herald Tribune, 27 octobre 2006.
4
La dissuasion peut concerner dâautres acteurs. En 2003, les Ătats-Unis ont tentĂ© dâexercer une « dissuasion
personnelle » envers certains exĂ©cutants militaires irakiens, les laissant entendre quâils seraient tenus pour
personnellement responsables en cas dâusage dâarmes chimiques.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
5
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
corĂ©ens â il faut ĂȘtre extrĂȘmement rationnel, parce que si vous faites une erreur, il est
peu probable que dans cette société on vous donnera une deuxiÚme chance ».
5
LâIran, par exemple, est considĂ©rĂ© par la plupart des analystes comme Ă©tant gouvernĂ©
par un rĂ©gime rationnel. La dĂ©cision de Khomeiny dâaccepter le cessez-le-feu avec
lâIrak en 1988 peut ĂȘtre analysĂ©e en ce sens, la poursuite du conflit pouvant mettre en
cause la survie du rĂ©gime, notamment si les Ătats-Unis entraient en guerre contre lâIran.
6
Une étude approfondie réalisée par des experts israéliens a conclu que « les décisions du
rĂ©gime iranien sont rationnelles [(lorsquâelles sont analysĂ©es du point de vue iranien)] ».
7
DâaprĂšs Shai Feldman, lâun des principaux analystes israĂ©liens des questions stratĂ©giques,
lâobservation du comportement du rĂ©gime conduit inĂ©vitablement Ă la conclusion que ce
dernier est « trÚs sensible aux coûts ».
8
La survie du régime est généralement considérée
comme lâobjectif premier des dirigeants iraniens.
9
Pour lâanalyste amĂ©ricain Michael
Eisenstadt, aprÚs des années de violence révolutionnaire et une longue guerre meurtriÚre
contre lâIrak, lâIran a dĂ©veloppĂ© une « aversion au risque ».
10
Dâautres soulignent que le
régime de Téhéran est parfaitement rationnel et que la caricature du « mad mullah » ne
correspond aucunement à la réalité.
11
La communauté américaine du renseignement est
unanime pour suggérer que, sur la question nucléaire, « les décisions de Téhéran sont
guidées par une approche coûts-bénéfices ».
12
Ainsi certains analystes nâont-ils guĂšre de
doute sur le fait que la dissuasion puisse jouer face à Téhéran.
13
Certaines décisions stratégiques prises par les dirigeants de puissances régionales,
parfois difficiles Ă comprendre sur le moment, peuvent, rĂ©trospectivement, sâavĂ©rer par-
faitement rationnelles :
Lâattaque de Pearl Harbor en 1941 Ă©tait, du point de vue japonais, justifiĂ©e par la
dĂ©cision amĂ©ricaine dâembargo sur la vente de produits pĂ©troliers aprĂšs lâinvasion
de la pĂ©ninsule indochinoise. Le pĂ©trole amĂ©ricain (80 % de lâapprovisionnement du
pays) Ă©tait vital pour la rĂ©alisation du projet japonais de conquĂȘte de lâAsie et le
5
Daniel Pinkston, Center for Nonproliferation Studies, National Public Radio, 24 juin 2006. Le cas des
dirigeants appelés à gouverner du seul fait de leur lignée est une exception, mais ils contrÎlent rarement
dâemblĂ©e les leviers de pouvoir : Kim Jong-Il a dĂ» agir rationnellement pour consolider son leadership au
sein de lâappareil nord-corĂ©en.
6
Ziemke, « The National Myth and Strategic Personality of Iran », op. cit., p. 113, p. 129. La destruction
accidentelle dâun avion de ligne iranien par les Ătats-Unis le 3 juillet avait Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme un acte
délibéré.
7
Alex Mintz, Intervention Ă la 8
Ăšme
Conférence Herzliya, 22 janvier 2008. Voir également Chuck Freilich,
Speaking about the Unspeakable. US-Israeli Dialogue on Iranâs Nuclear Program, The Washington
Institute for Near East Policy, 2007, pp. 14-15.
8
Cité in Paul Starobin, « Of Mullahs And MADness », The National Journal, 19 mai 2006.
9
Mintz, op. cit.
10
Cité in Starobin, op. cit.
11
Voir par exemple Willis Stanley, The Strategic Culture of the Islamic Republic of Iran, Science
Applications International Corporation, 31 octobre 2006, p. 17.
12
National Intelligence Estimate, Iran: Nuclear Intentions and Capabilities, National Intelligence Council,
novembre 2007.
13
Noah Feldman, « Nuclear holocaust: A risk too big even for martyrs? », The International Herald Tribune, 27
octobre 2006 ; David Ignatius, « The Myth of the Mad Mullahs », The Washington Post, 5 décembre 2007.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
6
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
maintien de lâoccupation de la Chine. En juillet 1941, le refus amĂ©ricain de discuter
les termes dâun modus vivendi rendit la guerre quasiment inĂ©vitable du point de vue
de Tokyo. De plus, le Japon préférait le risque de la défaite à celui du déshonneur :
« lâoblitĂ©ration Ă©tait prĂ©fĂ©rable Ă une paix dont le prix aurait Ă©tĂ© sa singularitĂ© et
son honneur. La survie en des termes dictĂ©s par les Ătats-Unis nâaurait pas Ă©tĂ© la
survie ».
14
IsraĂ«l pensait dissuader la Jordanie dâentrer en guerre en 1967, faisant comprendre
au roi Hussein quâil risquait de perdre la Cisjordanie et JĂ©rusalem. Mais celui-ci
estima quâil aurait Ă©tĂ© encore plus risquĂ© pour la lĂ©gitimitĂ© de son rĂ©gime de ne pas
se joindre Ă la coalition arabe.
15
En 1973, Anouar El-Sadate et Hafez El-Asad savaient parfaitement que leurs
armĂ©es nâĂ©taient pas de taille Ă vaincre Tsahal ; mais leur objectif Ă©tait de restaurer
leur prestige et celui du monde arabe (et ainsi, pour ce qui concerne Sadate, pouvoir
instaurer un processus de paix). « Pour Sadate et Asad, la guerre promettait des
gains majeurs, à commencer par la restauration de la fierté arabe. (...) Le simple
fait dâoser entrer en guerre contre lâinvincible IDF serait perçu comme profondĂ©ment
courageux ; effacer la honte de 1967, et plus largement le caractĂšre honteux de
lâhistoire arabe depuis 1948, apporterait des rĂ©compenses aux deux rĂ©gimes en termes
de popularité, de légitimité, et de longévité, ainsi que les largesses des royaumes
pétroliers ».
16
Jusquâen fĂ©vrier 2003, lâIrak ne sâattendait pas Ă une invasion amĂ©ricaine. Du point
de vue de Saddam Hussein, les Ătats-Unis avaient dĂ©jĂ atteint leurs objectifs stratĂ©-
giques dans la rĂ©gion, et nâavaient donc pas de raison de le faire. Et lâAmĂ©rique
nâattaquerait pas car elle savait quâelle risquerait la dĂ©faite. En outre, il comptait sur
Paris et Moscou pour faire obstacle à toute tentation américaine.
17
Par ailleurs, il est dĂ©sormais Ă©tabli que Saddam Hussein estimait ĂȘtre dans son
intĂ©rĂȘt de ne pas rĂ©vĂ©ler lâabsence de programmes majeurs actifs dâarmes de destruction
massive. Selon les termes de lâinspecteur du FBI responsable de ses interrogatoires,
« Pour lui, il Ă©tait vital dâĂȘtre encore perçu comme Saddam le fort, Saddam le fier. Il
pensait que [laisser croire Ă la possession dâADM] empĂȘcherait les Iraniens dâenvahir
de nouveau lâIrak ».
18
Les tĂ©moignages dâautres responsables irakiens corroborent
ce point de vue, mentionnant la crainte irakienne dâune attaque israĂ©lienne.
19
14
Caroline F. Ziemke, Philippe Loustaunau & Amy Alrich, Strategic Personality and the Effectiveness of
Nuclear Deterrence, Institute for Defense Analyses / Defense Threat Reduction Agency, IDA Document
D-25537, novembre 2000, p. 68.
15
David S. Yost, NATO and Tailored Deterrence: Understanding and Communication, Report on a workshop
in Brussels, 16-17 October 2007.
16
Benny Morris, Righteous Victims (New-York: Vintage Books, 2001), p. 387.
17
Kevin M. Woods et al., Iraqi Perspectives Project. A View of Operation Iraqi Freedom from Saddamâs
Senior Leadership, Joint Center for Operational Analysis, US Joint Forces Command, mars 2006, p. 28.
18
« Interrogator: Invasion Surprised Saddam », CBS News, 24 janvier 2008.
19
Woods et al., op. cit., pp. 91-93.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
7
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
De nombreux exemples dans lâhistoire contemporaine tendent Ă montrer la bonne
compréhension de la logique de dissuasion par menace de représailles par les pays
les plus divers :
LâAllemagne nazie sâĂ©tait abstenue dâemployer lâarme chimique lors du conflit
mondial. Hitler souhaitait rĂ©server son arsenal chimique Ă lâemploi Ă titre de rĂ©torsion.
20
En outre, Roosevelt et Churchill ayant averti en 1942 que lâusage de tels moyens
entraĂźnerait une riposte de la mĂȘme nature, il craignait que celle-ci soit dirigĂ©e
contre les centres industriels allemands.
21
Certains responsables arabes font montre dâune bonne comprĂ©hension de la
stratĂ©gie israĂ©lienne de dissuasion. Un ancien conseiller de Nasser estimait quâIsraĂ«l
« nâemploierait pas [ses armes nuclĂ©aires] sauf si le pays Ă©tait Ă©tranglĂ© ». De
mĂȘme, le dĂ©funt roi Hussein pensait-il que ces armes ne seraient pas utilisĂ©es « sauf
si [les Israéliens] faisaient face à un péril mortel ».
22
Dans les annĂ©es 1980, les dirigeants du Hezbollah furent dissuadĂ©s de sâen prendre
aux SoviĂ©tiques prĂ©sents au Liban Ă la suite dâune « dĂ©monstration » faite par les
services du pays, qui sâen Ă©taient pris au fils dâun important dignitaire religieux et
lâavaient mutilĂ© aprĂšs un attentat visant la reprĂ©sentation diplomatique du pays.
23
En 1991, lors de la guerre du Golfe, Saddam Hussein nâavait pas employĂ© dâarmes
chimiques, alors que le rĂ©gime nâavait pourtant pas hĂ©sitĂ© Ă les utiliser Ă grande
Ă©chelle lors de la guerre contre lâIran. Comme on le sait, les missiles Scud tirĂ©s
contre le territoire israélien étaient exclusivement dotés de charges conventionnelles.
Certains Ă©lĂ©ments laissent penser que lâIrak avait Ă©tĂ© dissuadĂ© par la menace dâune
riposte nuclĂ©aire. Le SecrĂ©taire dâĂtat amĂ©ricain James Baker avait averti son
homologue Tarek Aziz : « si les hostilités commencent et que, Dieu nous en préserve,
des armes chimiques ou biologiques sont employĂ©es contre nos forces â le peuple
américain exigerait que nous nous vengions, et nous avons les moyens de le
faire ».
24
Les témoignages subséquents de responsables irakiens tels que Tarek Aziz,
Hussein Kamel et Wafic El-Samarrai suggĂšrent que la crainte dâune riposte nuclĂ©aire en
cas dâemploi de tels moyens Ă©tait trĂšs prĂ©sente chez les dirigeants du pays.
25
(Il est
intéressant de noter que la lettre de M. Bush avait été, semble-t-il, trÚs largement
distribuĂ©e au sein de lâappareil dâĂtat irakien.
26
)
20
Jonathan Tucker, War of Nerves. Chemical Warfare from World War 1 to Al Qaeda (New-York:
Pantheon Books, 2006).
21
Strategic Advisory Group, US Strategic Command, Essentials of Post-Cold War Deterrence, 1995, p. 6.
22
Cités in Shai Feldman, Israeli Nuclear Deterrence. A Strategy for the 1980s (New-York: Columbia
University Press, 1982), p. 87.
23
Strategic Advisory Group, op. cit. p. 4.
24
US Department of State Dispatch, Persian Gulf, 14 janvier 1991. Cet avertissement verbal avait été
accompagnĂ© dâune lettre du PrĂ©sident Bush rĂ©itĂ©rant, dans des termes diffĂ©rents, la mĂȘme menace. M. Aziz
avait refusĂ© dâen prendre connaissance.
25
R. Jeffrey Smith, « U.N. Says Iraqis Prepared Germ Weapons in Gulf War », The Washington Post, 26
août 1995 ; et les entretiens réalisés pour le documentaire Frontline: The Gulf War (KCET, 9-10 janvier
1996).
26
Strategic Advisory Group, op. cit., p. 6.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
8
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
LâIran rĂ©volutionnaire sâest abstenu de frapper directement les intĂ©rĂȘts amĂ©ricains
aprĂšs 1996 aprĂšs lâattentat de Khobar Towers (logements amĂ©ricains sur le territoire
saoudien). Selon Richard Clarke, Ă lâĂ©poque coordonnateur du contre-terrorisme,
Washington avait adressĂ© un avertissement Ă TĂ©hĂ©ran sous la forme dâune « opĂ©ration
de renseignement ». La nature de cette opĂ©ration nâa pas Ă©tĂ© rendue publique, mais
selon Clarke, lâavertissement fut parfaitement entendu.
27
Le colonel Kadhafi semble avoir Ă©tĂ© confortĂ© dans sa dĂ©cision dâabandonner ses
programmes dâarmes de destruction massive par lâinvasion de lâIrak en 2003, et par
le sort personnel de Saddam Hussein.
28
Selon certains témoignages, Kadhafi
regardait en boucle les images de la capture de Saddam.
29
La notion de dissuasion est loin dâĂȘtre Ă©trangĂšre Ă la culture islamique. Le verset
suivant du Coran est souvent mentionnĂ© Ă lâappui de lâintĂ©rĂȘt de la possession dâarmes
nucléaires : « Vous devrez préparer pour eux [les ennemis, N.d.A.] tout le pouvoir que
vous pouvez rassembler, et tout lâĂ©quipement que vous pouvez mobiliser, que vous
puissiez effrayer les ennemis de Dieu, vos ennemis ainsi que dâautres qui ne sont pas
connus de vous ; Dieu les connaßt ».
30
Un autre verset cĂ©lĂšbre du Coran met lâaccent sur
lâencadrement de lâusage de la force et la notion de reprĂ©sailles : « Combat au nom de
Dieu ceux qui te combattent, mais [(ne transgresse pas les limites) ou (nâinitie pas les
hostilités)] ».
31
Certains commentateurs vont jusquâĂ dire que le Coran interdisant les
attaques indiscriminĂ©es contre les civils, lâarme nuclĂ©aire nâest pas utilisable.
32
Concernant lâIran, lâayatollah Hossein Ali Montazeri (un temps considĂ©rĂ© comme le
successeur potentiel de Khomeini) Ă©crit : « Les prĂ©parations militaires nâont pas seulement
pour but de mener des guerres. (...) le but de la prĂ©paration militaire est dâeffrayer et
dâintimider sĂ©rieusement les ennemis potentiels (...). »
33
De nombreuses études sur la
politique de dĂ©fense de lâIran mettent en avant la centralitĂ© de la notion de dissuasion
dans la doctrine du pays.
34
Les responsables militaires font référence à une « doctrine de
dissuasion défensive ». Les missiles balistiques sont généralement considérés comme un
27
Richard Clarke & Steven Simon, « Threatening Iran: Bombs that would backfire », The International
Herald Tribune, 18 avril 2006 ; et Richard Clarke, Against All Enemies. Inside Americaâs War on Terror
(New-York: Free Press, 2004), pp. 120-129
28
Wyn Q. Bowen, Libya and Nuclear Proliferation. Stepping back from the brink, Adelphi Paper n° 380
(Oxon: Routledge, 2006), p. 64.
29
Florence Aubenas & Christophe Boltanski, « Sur la piste du commando Cécilia », Le Nouvel Observateur,
24-30 janvier 2008, p. 80.
30
Coran, Sourate 8 (Al-Anfal â Le Butin), Verset 60. Ce principe est parfois citĂ© dans les milieux militaires
pakistanais Ă lâappui de la politique de dissuasion nuclĂ©aire du pays, y compris dans sa possible dimension
« anti-cités ». Stephen P. Cohen, The Pakistani Army, edition de 1998 (Karachi: Oxford University Press,
1998), pp. 177-178.
31
Coran, Sourate 2 (Al-Baqarah â La Vache), Verset 191. Les traductions divergent significativement.
32
El Hassan bin Talal, « Nuclear Weapons and Regional Conflicts. An Islamic View », in ibid., Continuity,
Innovation and Change. Selected Essays (Amman: Majlis El Hassan, 2003), p. 42. Lâauteur est lâoncle du
roi Hussein de Jordanie.
33
Cité in Khalaji, op. cit., p. 29.
34
Sharam Chubin, Iranâs National Security Policy. Capabilities, Intentions and Impact (Washington:
Carnegie Endowment for International Peace, 1994), pp. 18-28 ; Shmuel Bar, Iranian Defense Doctrine
and Decision Making, Institute for Policy and Strategy, Interdisciplinary Center Herzliya, 2004.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
9
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
instrument de dissuasion.
35
Les organisations étrangÚres sous influence iranienne sont
également vues comme des « capacités de dissuasion ».
36
Les armes chimiques sont
avant tout considĂ©rĂ©es comme des moyens de dissuasion qui ne seraient employĂ©es quâen
second.
37
La logique dissuasive semble aussi applicable, pour les Iraniens qui veulent
bien lâĂ©voquer, au domaine nuclĂ©aire. Lâun des responsables du programme nuclĂ©aire,
Asgar Khani, cite lâutilitĂ© des armes nuclĂ©aires Ă titre de « dissuasion minimale ».
38
Un
dignitaire religieux proche de lâayatollah Mesbah-Yazdi a dĂ©clarĂ© en 2006 que lâemploi
de lâarme nuclĂ©aire Ă©tait concevable Ă titre de « contre-mesure ».
39
Il existe chez les grands acteurs du monde musulman de nombreux exemples de
déclarations publiques montrant que la dissuasion par menace de représailles est
une conception largement partagée :
Le colonel Kadhafi voyait lâarme nuclĂ©aire comme un instrument de dissuasion. En
juillet 1987, il dĂ©clarait : « Les Arabes devraient avoir [lâarme nuclĂ©aire], mais en
sâengageant Ă ne pas lâutiliser contre qui que ce soit. Toutefois, si quelquâun en
lançait une sur nous, ou menaçait notre existence ou notre indĂ©pendance mĂȘme sans
employer des armes nuclĂ©aires, alors il faudrait lâemployer. Câest fondamentalement
une arme défensive ».
40
En avril 1990, il déclarait : « Si [les Américains] savent que
vous disposez dâune force de dissuasion capable de frapper les Ătats-Unis, ils ne
peuvent pas vous frapper. Car si nous possédions une capacité de dissuasion, des
missiles pouvant atteindre New-York, nous les frapperions au mĂȘme moment. En
consĂ©quence, nous devrions mettre au point une telle force afin quâils ne puissent
plus nous attaquer ».
41
UltĂ©rieurement, dâaprĂšs le sĂ©nateur Joseph Biden, le colonel
Kadhafi se serait convaincu de lâinutilitĂ© pour lui de possĂ©der lâarme nuclĂ©aire, car
35
Y. Mansharof & A. Savyon, Iranâs Response to Western Warnings: âFirst Strikeâ, âPreemptive Attackâ,
Long-Range Ballistic Missiles, âAsymmetric [Guerilla] Warfare, MEMRI Inquiry & Analysis Series,
n° 407, 28 novembre 2007. LâidĂ©e selon laquelle les missiles balistiques sont considĂ©rĂ©s en Iran comme un
moyen de dissuasion est corroborĂ©e par lâexpĂ©rience personnelle de lâauteur, qui avait Ă©tĂ© abordĂ© en janvier
2000 par un universitaire iranien disant aider le CGRI à développer une doctrine de dissuasion assise sur les
missiles, destinée à prévenir une attaque américaine.
36
« New IRGC Commander: Asymmetrical Warfare Is Our Strategy for Dealing with Enemyâs
Considerable Capabilities; We Aspire to Ballistic Missile Superiority », MEMRI Special Dispatch Series,
n° 1716, 19 septembre 2007.
37
Gregory F. Giles, « The Islamic Republic of Iran and Nuclear, Biological, and Chemical Weapons », in
Peter Lavoy, Scott D. Sagan & James J. Wirtz (dir.), Planning the Unthinkable. How New Powers Will Use
Nuclear, Biological and Chemical Weapons (Ithaca: Cornell University Press, 2000), pp. 92-93 ; et
Caroline F. Ziemke, « The National Myth and Strategic Personality of Iran: A Counterproliferation
Perspective », in Victor A. Utgoff (dir.), The Coming Crisis. Nuclear Proliferation, US Interests, and
World Order (Cambridge: MIT Press, 2000), pp. 114.
38
Cité in Etel Solingen, « Iran », in Nuclear Logics. Contrasting Paths in East Asia and the Middle East
(Princeton: Princeton University Press, 2007), p. 181.
39
« Reformist Iranian Daily: A New Fatwa States That Religious Law Does Not Forbid Use of Nuclear
Weapons », MEMRI Special Dispatch Series, n° 1096, 17 février 2006.
40
Cité in Wyn Q. Bowen, Libya and Nuclear Proliferation. Stepping back from the brink, Adelphi Paper
n° 380, International Institute for Strategic Studies, 2006, p. 19.
41
Cité in Bowen, op. cit., p. 21.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
10
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
lâemploi de telles armes aurait suscitĂ© une riposte massive de la part des Ătats-
Unis.
42
Pour Saddam Hussein, lâarme nuclĂ©aire devait ĂȘtre pour le monde arabe un moyen
dâassurer un « Ă©quilibre de la terreur » avec IsraĂ«l.
43
A dĂ©faut, lâarme chimique
pouvait ĂȘtre un moyen de dissuasion. « Ils se font des illusions sâils sâimaginent
quâils peuvent donner un prĂ©texte Ă IsraĂ«l pour venir frapper certaines installations
industrielles. Par Dieu, nous brĂ»lerons la moitiĂ© dâIsraĂ«l si ce pays attaque lâIrak ».
EmployĂ©es au Kurdistan et contre lâIran, les armes chimiques irakiennes pouvaient
avoir une autre fonction face à un adversaire nucléaire : elles étaient un moyen
dâĂ©galiser lâarme nuclĂ©aire israĂ©lienne et de dissuader IsraĂ«l dâemployer cette arme
contre lâIrak. « Nous nâavons pas besoin dâune bombe atomique. Nous avons lâarme
chimique binaire. Quâils notent bien cela. Quiconque nous menace avec la bombe
atomique sâexpose Ă lâannihilation au moyen dâarmes chimiques binaires ».
44
Cette
menace de représailles était également valable à titre de « dissuasion élargie » :
Saddam affirmait vouloir protéger ses alliés arabes de toute agression majeure.
45
Les dirigeants iraniens semblent vouloir exercer une certaine forme de dissuasion
envers Israël. DÚs 1995, le commandant du Corps des gardiens de la révolution
islamique (CGRI), Mohsen Rezai, dĂ©clarait : « LâIran possĂšde dâexcellents moyens
pour exercer une riposte appropriĂ©e en cas dâagression par IsraĂ«l ».
46
En 2001,
Hashemi Rafsandjani avait déclaré : « Si un jour le monde musulman était équipé de
lâarme que possĂšde aujourdâhui IsraĂ«l, le monde de lâarrogance sera alors dans une
impasse. Une seule bombe nucléaire sur Israël détruira tout sur cette terre, mais ne
causerait que des dommages limités au monde musulman ».
47
En 2007, lâadjoint au
chef dâĂ©tat-major de lâarmĂ©e de lâAir signalait : « Nous avons mis au point un plan
de riposte contre IsraĂ«l avec nos bombardiers pour le cas oĂč ce rĂ©gime commettrait
une erreur stupide ».
48
En 2008, Mahmoud Ahmadinejad déclare aprÚs un essai de
missile balistique par IsraĂ«l : « Le rĂ©gime sioniste (...) nâoserait pas attaquer lâIran.
La réponse iranienne les ferait regretter cela. Ils le savent. »
49
Le commandant du
42
« US Senator Recounts Qadhafiâs Stated Reasons for Abandoning Libyan WMD Efforts », NTI Global
Security Newswire, 20 janvier 2005.
43
Amatzia Baram, « An Analysis of Iraqi WMD Strategy », The Nonproliferation Review, vol. 18, n° 2, été
2001, p. 26, p. 28.
44
« President Warns Israel, Criticizes U.S. » FBIS-NES-90-064, 3 avril 1990. Ce thÚme avait été développé
lors dâune rencontre avec des sĂ©nateurs amĂ©ricains. Saddam Hussein avait, dit-il, donnĂ© lâinstruction
suivante Ă ses commandants de forces : « (...) sâils ne reçoivent pas dâordre dâune autoritĂ© supĂ©rieure et
quâune ville est frappĂ©e par une bombe atomique, ils lanceront vers IsraĂ«l toute arme pouvant lâatteindre »
(FBIS-NES-90-076, 17 avril 1990). Une autre source cite la phrase suivante : « Si IsraĂ«l emploie lâarme
nucléaire, nous frapperons le pays avec des armes chimiques binaires » (« Saddam Husayn Addresses
Visiting U.S. Senators » FBIS-NES-90-074, 17 avril 1990). Voir également, Baram, op. cit., pp. 31-32.
45
Baram, op. cit., p. 31.
46
« Revolutionary Guard Commander Interviewed », FBIS-NES-92-134, 13 juillet 1992.
47
Sermon Ă lâuniversitĂ© de TĂ©hĂ©ran, 14 dĂ©cembre 2001 (« Former President Rafsanjani on Using a Nuclear
Bomb Against Israel », MEMRI Special Dispatch Series, n° 325, 3 janvier 2002).
48
« Iran âto bomb Israel if attackedâ », CNN.com, 20 septembre 2007.
49
Déclaration à Al-Jezirah, 17 janvier 2008, cité in Orin Lewis & Dan Williams, « Iran defiant after Israeli
missile test », Reuters, 17 janvier 2008.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
11
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
Corps des gardiens de la Révolution a menacé publiquement de riposter sur les
forces amĂ©ricaines dans la rĂ©gion en cas dâattaque contre lâIran.
50
Oussama Ben Laden lui-mĂȘme se rĂ©fĂšre Ă la logique de dissuasion. DĂšs 1998, il
Ă©voquait le devoir pour les Musulmans de se doter dâarmes de destruction massive,
afin « dâĂ©viter que les InfidĂšles ne sâen prennent Ă eux ».
51
En septembre 2001, il
appelait « les nations musulmanes en général, et le Pakistan en particulier, à se
prĂ©parer Ă la guerre sainte imposĂ©e par Dieu et Ă terroriser lâennemi en prĂ©parant
la force nécessaire (...). Ceci devrait comprendre une force nucléaire pour susciter
la peur chez tous les ennemis conduits par lâalliance sioniste-chrĂ©tienne ».
52
Quelques semaines plus tard, il dĂ©clarait dans un entretien : « Si lâAmĂ©rique emploie
des armes chimiques ou nucléaires contre nous, alors nous pouvons riposter avec
des armes chimiques ou nucléaires. (...) Nous possédons de telles armes à titre
dâinstrument de dissuasion ».
53
Cette notion semble partagée par de nombreux
responsables de la mouvance Al-Qaida.
54
Il est remarquable que tous les pays qui se sont dotĂ©s de lâarme nuclĂ©aire aient
adopté une logique de dissuasion. Outre les doctrines des puissances nucléaires de
lâAlliance atlantique, on peut citer :
La Russie. Aux termes du Concept de sécurité nationale (2000), « La tùche principale
de la Fédération de Russie est de dissuader les agressions de quel que niveau que ce
soit contre elle et ses alliĂ©s, y compris avec lâemploi dâarmes nuclĂ©aires ».
55
La
doctrine militaire du pays (2000) précise que les armes nucléaires russes sont comme
« un facteur de dissuasion de lâagression, de sauvegarde de la sĂ©curitĂ© militaire de
la Fédération de Russie et de ses alliés, et du maintien de la stabilité et de la paix
internationales ».
56
Le texte de la doctrine du ministÚre de la Défense de 2003
évoque une « dissuasion stratégique » dont les buts sont : « en temps de paix, de
prĂ©venir les pressions par menace du recours Ă la force et lâagression contre la
Russie et ses alliĂ©s ; en temps de guerre, de procĂ©der Ă la dĂ©sescalade de lâagression en
mettant un terme aux actions militaires en des termes acceptables pour la Russie,
[et] en infligeant des dommages [appropriĂ©s] Ă lâennemi ». Les forces doivent
« garantir dâinfliger les dommages [appropriĂ©s] Ă un agresseur en toute circons-
tance ». Il sâagit de « dommages subjectivement inacceptables aux forces ennemies,
lorsque le volume de dommages excĂšderait les bĂ©nĂ©fices que lâagresseur escompterait
réaliser en employant la force militaire ».
57
50
« IRGC Commander Gen. Mohammad Jaâfari: If Attacked, Iran Will Target US Forces in Neighboring
Countries », MEMRI Special Dispatch Series, n° 1833, 8 février 2008.
51
Cité in Jerry Mark Long, Strategic Culture, Al-Qaida, and Weapons of Mass Destruction, Science
Applications International Corporation, 20 novembre 2006, p. 23.
52
Cité in Peter Bergen, The Osama Bin Laden I Know (New-York: Free Press, 2006), p. 341. Ce texte
semble ĂȘtre inspirĂ© par la Sourate 8 (cf. supra.).
53
Hamid Mir, « Osama claims he has nukes: If US uses N-arms it will get the same response », Dawn, 10
novembre 2001.
54
Long, Strategic Culture, op. cit., p. 22.
55
Concept de sécurité nationale de la Fédération de Russie, janvier 2000.
56
Doctrine militaire de la Fédération de Russie, avril 2000.
57
Le développement des forces armées russes : buts et perspectives, Moscou, octobre 2003.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
12
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
La Chine. La Chine a fini par intégrer dans son vocabulaire officiel, en 2000, le
terme « dissuasion » aprĂšs avoir longtemps cherchĂ© Ă sâen dĂ©marquer, au motif, disait-
elle, que celui-ci évoquait les doctrines agressives des puissances occidentales. Le
Livre blanc de 2002 contenait les premiĂšres indications officielles sur la doctrine
nucléaire du pays. « La capacité limitée de contre-attaque nucléaire de la Chine est
entiĂšrement destinĂ©e Ă dissuader de possibles attaques nuclĂ©aires par dâautres pays.
(...) [Les missions premiÚres de la force de missiles stratégiques] sont de dissuader
lâennemi dâemployer des armes nuclĂ©aires contre la Chine, et, en cas dâattaque
nucléaire ennemie, de lancer une contre-attaque efficace à titre de légitime défense,
de maniÚre indépendante ou en commun avec les forces nucléaires stratégiques
dâautres armĂ©es, en exĂ©cution de lâordre donnĂ© par le commandement suprĂȘme. »
58
Le Livre blanc de 2006, plus succinct sur ce point, reste sur la mĂȘme ligne : « Une
stratégie nucléaire défensive. La stratégie nucléaire de la Chine est soumise à la
politique nucléaire et à la stratégie militaire du pays. Son but fondamental est de
dissuader dâautres pays dâutiliser ou de menacer dâutiliser des armes nuclĂ©aires
contre la Chine. (...) La Chine est fidÚle aux principes de contre-attaque en légitime
défense (...) ».
59
LâInde. Le texte officiel de doctrine publiĂ© en 2003 contient les Ă©lĂ©ments suivants :
« (1) Mettre en place et maintenir une dissuasion minimale crédible ; (2) Une
posture de âNon-Emploi en Premierâ : les armes nuclĂ©aires seront seulement utilisĂ©es
en représailles contre une attaque nucléaire sur le territoire indien ou contre les
forces indiennes oĂč que ce soit ; (3) La riposte nuclĂ©aire Ă une premiĂšre frappe sera
massive et conçue pour infliger des dommages inacceptables (...) ».
60
Le Pakistan. A la suite des essais de 1998, le Pakistan a élaboré une doctrine de
« dissuasion minimale » qui a pour but de « dissuader toutes formes dâagression
extérieure de nature à mettre en cause [sa] sécurité nationale ».
61
Toutes les décla-
rations officielles ou semi-officielles des responsables pakistanais mentionnent un
concept dâemploi strictement dissuasif.
62
La Corée du Nord. Depuis 2003, la Corée du Nord se réfÚre systématiquement à sa
capacité nucléaire comme à un instrument de dissuasion. Pyongyang justifie son
programme par lâimpĂ©ratif de « la possession dâune capacitĂ© de dissuasion, exclusive-
ment à titre de légitime défense ».
63
La dĂ©claration annonçant lâessai de 2006
stipule : « Les armes nucléaires de la RDPC seront un moyen efficace de dissuasion
de la guerre en protĂ©geant les intĂ©rĂȘts suprĂȘmes de lâĂtat et la sĂ©curitĂ© de la nation
corĂ©enne des menaces amĂ©ricaines dâagression, en empĂȘchant une nouvelle guerre,
et en sauvegardant fermement la paix et la stabilité sur la péninsule coréenne en
58
Livre blanc sur la défense nationale, Pékin, décembre 2002.
59
Livre blanc sur la défense nationale, Pékin, décembre 2006.
60
Press Release, The Cabinet Committee on Security Reviews operationalization of Indiaâs Nuclear
Doctrine, New Delhi, 4 janvier 2003.
61
Remarks of the Prime Minister of Pakistan, Nawaz Sharif, on Nuclear Policies and the CTBT, National
Defence College, Islamabad, 20 mai 1999.
62
Cf. par exemple « Musharraf says minimum deterrence needed to ensure peace », DailyIndia.com, 20
mars 2008.
63
Selon les termes de M. Choe-Su Hon, ministre des Affaires Ă©trangĂšres. « Nuclear Weapons for âSelf-
Defenseâ, North Korea Says », NTI Global Security Newswire, 27 septembre 2006.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
13
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
toute circonstance ».
64
Pyongyang a Ă©galement averti quâen cas de menace dâattaque, la
Corée du Nord pourrait recourir à une « frappe préemptive » qui conduirait à « réduire
en cendres » lâadversaire.
65
On peut sans doute expliquer cette convergence par lâexistence dâun « tabou nuclĂ©aire »
qui se renforce dâannĂ©e en annĂ©e depuis 1945. En dĂ©pit des diffĂ©rences liĂ©es Ă la diversitĂ©
des cultures stratégiques nationales, les doctrines comportent de nombreux points
communs, ce qui suggĂšre lâexistence dâune « culture partagĂ©e » de lâarme nuclĂ©aire.
66
Ainsi en est-il, notamment, de la notion de « dommages inacceptables », dâorigine
amĂ©ricaine, que lâon retrouve dans les dĂ©clarations et les textes français mais aussi
russes, chinois, indiens, et pakistanais.
64
« Text of North Koreaâs nuke announcement », Associated Press, 3 octobre 2006.
65
« Military Commentator Blasts Outbursts of Chairman of Joint Chiefs of Staff of South Korean Forces »,
Korean Central News Agency, 30 mars 2008.
66
Lâexplication de ce phĂ©nomĂšne va au-delĂ de lâobjet du travail proposĂ© ici. On se bornera ici Ă
mentionner deux pistes : dâune part, la circulation internationale des idĂ©es amĂ©ricaines et britanniques, qui
ont Ă©tĂ© Ă la base de la plupart des rĂ©flexions sur le concept de dissuasion nuclĂ©aire ; dâautre part, la logique
des moyens, qui dĂ©termine sans doute en partie lâĂ©laboration des doctrines (les mĂȘmes causes suscitant les
mĂȘmes effets).
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
14
2 â
La pratique de la dissuasion : limites et incertitudes
Malheureusement, les enseignements de lâHistoire sont de nature Ă susciter des doutes
sĂ©rieux sur la validitĂ© en toute circonstance du pari dissuasif. Pour des raisons qui tiennent Ă
la psychologie humaine, Ă la sociologie politique, ainsi quâaux conditions stratĂ©giques
trĂšs particuliĂšres de la dissuasion nuclĂ©aire, il nâest pas possible de partir du principe
que la dissuasion pourra toujours jouer vis-à -vis des futurs adversaires nucléaires.
2.1 â
Limites et incertitudes de la dissuasion : la dimension psychologique
2.1.1 â
Les limites de la rationalité
MĂȘme si elle peut comprendre une part dâirrationalitĂ© (cf. infra.), la dissuasion repose
dâabord et avant tout sur le principe de rationalitĂ© des acteurs, et plus prĂ©cisĂ©ment sur ce
que lâon appelle la « thĂ©orie des choix rationnels », que lâon retrouve Ă la fois en
sociologie et en Ă©conomie. Elle suggĂšre que lâindividu est capable dâĂ©valuer les coĂ»ts et
les avantages de ses choix, et quâil est enclin Ă maximiser ses bĂ©nĂ©fices.
67
Mais cette théorie est de plus en plus contestée, notamment depuis les années 1950.
La rationalitĂ© est en fait le plus souvent « limitĂ©e » (bounded), comme lâa dĂ©montrĂ© le
sociologue et économiste Herbert Simon. Les capacités cognitives des acteurs et leur
aptitude à intégrer des informations nouvelles dans le processus de décision ont des
limites : lâacteur choisit frĂ©quemment la premiĂšre option qui lui semble aller dans le
sens de ses intĂ©rĂȘts et tend ensuite Ă rejeter toute information mettant ce choix en cause.
Ces mĂ©canismes sâactivent tout particuliĂšrement en temps de crise, car les processus
cognitifs sont alors soumis à des contraintes particuliÚres. Le cerveau humain réagit au
stress en limitant ses capacitĂ©s dâabsorption et de traitement de lâinformation. Les
dĂ©cideurs sont alors susceptibles de sâenfermer dans des schĂ©mas de pensĂ©e rigides.
68
Une fois que la dĂ©cision dâentrer en conflit est prise, les dirigeants « deviennent insensibles
aux informations qui ne vont pas dans leur sens ».
69
Ătre rationnel ne veut pas nĂ©cessairement dire ĂȘtre raisonnable, comme lâont soulignĂ©
des théoriciens tels que Raymond Aron et Patrick Morgan.
70
Certains régimes sont
fortement enclins Ă la prise de risques, ce qui les rend difficiles Ă dissuader. Or ils
sont susceptibles de prendre des initiatives conduisant, volens nolens, Ă lâescalade
67
La rationalité étant plus précisément définie comme « la capacité humaine à anticiper les conséquences
de différentes actions et à évaluer ce que sont les choix les plus bénéfiques ». J. Mitchell Miller,
Christopher J. Schreck, Richard Tewksbury, Criminological Theory (Boston: Allyn & Bacon, 2006).
68
Michael Brecher, Decisions in Crisis. Israel, 1967 and 1973 (Berkeley: University of California Press,
1980), p. 343.
69
Richard Lebow cité in Daniel Goleman, « Political Forces Come Under New Scrutiny of Psychology »,
The New-York Times, 2 avril 1985.
70
A lâextrĂȘme, on peut dire que dans la tradition biblique, lâhistoire de lâhumanitĂ© a commencĂ© par un
« Ă©chec de la dissuasion » : le non-respect par Adam et Eve de lâinterdiction de goĂ»ter aux fruits de lâArbre
de la connaissance du bien et du mal, sous peine de connaĂźtre la mort (GenĂšse, 2:16-17).
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
15
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
militaire y compris jusquâau seuil nuclĂ©aire : blocus de Berlin-Ouest (1948) ; soutien de
Staline Ă Kim Il-sung pour lâinvasion de la CorĂ©e du Sud (1950) ; participation soviĂ©tique Ă
la guerre de Suez, et menaces nucléaires envers les pays du corps expéditionnaire (1956) ;
encouragement donnĂ© par Fidel Castro Ă lâouverture du feu nuclĂ©aire par lâURSS lors de
la crise de Cuba (1962) ; encouragement soviétique à une guerre contre Israël, et parti-
cipation directe des SoviĂ©tiques au combat (1967) ; dĂ©cision Ă©gypto-syrienne dâattaquer
IsraĂ«l (1973), et soutien accordĂ© par Moscou aux pays arabes ; campagne dâinfiltrations
pakistanaises au Cachemire (1999) ; etc.
71
La fréquence de cette « préférence pour le
risque » a fait lâobjet de travaux approfondis par les psychologues Daniel Kahneman et
Amos Tversky.
72
Deux des thĂ©oriciens les plus critiques Ă lâĂ©gard de la validitĂ© du concept de dissuasion
en concluent : « La stratĂ©gie de dissuasion sâappuie sur des prĂ©supposĂ©s irrĂ©alistes
quant Ă la maniĂšre dont les gens raisonnent. (...) Les ĂȘtres humains ne sont pas toujours
rationnels et ont trĂšs peu de chances de lâĂȘtre lorsque leurs Ă©motions sont suscitĂ©es et
quâils font face Ă dâintenses conflits de choix. Or câest prĂ©cisĂ©ment la situation dans
laquelle la dissuasion est le plus susceptible dâĂȘtre mise en jeu. »
73
2.1.2 â
Quelques cas particuliĂšrement difficiles
Les dirigeants souffrant de troubles psychologiques sévÚres
Un dirigeant peut perdre le sens des rĂ©alitĂ©s en raison de son Ă©tat de santĂ© ou dâun
traumatisme personnel. Les exemples abondent de dirigeants politiques dont le jugement
fut affectĂ© par lâalcool (le prĂ©sident sud-corĂ©en Park Chung-Hee), les barbituriques
(Mao Zedong), ou les stéroïdes (Kennedy).
Le cas des maladies psychotiques est particuliĂšrement dangereux, car le malade nâa pas
conscience de ses troubles de comportement.
74
Dans les Ătats dĂ©mocratiques ou mĂȘme
semi-autoritaires, il existe des contrepoids permettant de limiter les effets de telles
Ă©volutions. (Le prĂ©sident iranien Mahmoud Ahmadinejad est soupçonnĂ© dâĂȘtre un
« psychotique maniaco-dépressif de type schizo-affectif », mais il ne détient pas les
principaux leviers de décision.
75
) Tel nâest pas le cas dans les dictatures personnelles.
Saddam Hussein, selon lâanalyse de la CIA, Ă©tait un « pervers narcissique ». Il fut
71
Sur lâURSS des annĂ©es 1950 voir David Holloway, Stalin and the Bomb: The Soviet Union and Atomic
Energy 1939-1956 (New Haven: Yale University Press, 1994). Sur le role de Moscou et lâampleur de la
participation soviĂ©tique Ă lâopĂ©ration voir Isabella Ginor & Gideon Remetz, Foxbats over Dimona. The
Sovietsâ Nuclear Gamble in the Six-Day War (New Haven: Yale University Press, 2007).
72
Bradley A. Thayer, « Thinking about Nuclear Deterrence Theory: Why Evolutionary Psychology
Undermines Its Rational Actor Assumptions », Comparative Strategy, vol. 26 (2007), pp. 311-323.
73
Richard Ned Lebow & Janice Gross Stein, We All Lost the Cold War (Princeton: Princeton University
Press, 1994), pp. 330-331.
74
Alors que câest le cas pour ce qui concerne les malades atteints dâaffections nĂ©vrotiques.
75
Selon lâĂ©valuation faite par un psychiatre iranien (avec les rĂ©serves dâusage, le spĂ©cialiste nâayant pas pu
examiner directement le sujet). Michel Taubmann, La Bombe et le Coran. Une biographie du président
Mahmoud Ahmadinejad (Paris : Editions du Moment, 2008), p. 247.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
16
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
ultĂ©rieurement dĂ©crit par lâun de ses anciens lieutenants comme ayant « perdu le contact
avec la rĂ©alitĂ© », incapable dâapprĂ©cier la rĂ©alitĂ© de sa situation militaire.
76
Il faut citer Ă©galement, bien sĂ»r, lâAllemagne dâAdolf Hitler, lâURSS de Josef Staline,
ou la Chine de Mao Zedong.
77
Ces trois personnalitĂ©s ont en commun dâavoir subi de
sĂ©vĂšres traumatismes dâenfance, relevant notamment de lâaffrontement avec leur pĂšre.
78
Certains dirigeants peuvent ĂȘtre ce que le psychologue Erich Fromm a appelĂ© des
« personnalités nécrophiles ».
79
Leur instinct morbide sâest dĂ©veloppĂ© au point de
devenir dominant. Ils jouissent de la destruction et de la mort et deviennent, de fait,
inaccessibles au raisonnement dissuasif.
Les cultures dans lesquelles la dimension idéologique ou spirituelle est dominante
Certaines cultures contemporaines pourraient ainsi ĂȘtre particuliĂšrement peu rĂ©ceptives
Ă la menace de dissuasion par reprĂ©sailles. Ce pourrait ĂȘtre les cas de celles qui
valorisent le sacrifice ultime au bĂ©nĂ©fice dâune cause idĂ©ologique ou spirituelle, ou qui
incitent les dirigeants concernĂ©s Ă penser quâils bĂ©nĂ©ficient dâune aide surnaturelle.
LâAllemagne nazie Ă©tait guidĂ©e par la certitude dâagir au nom de valeurs supĂ©rieures et
dâaller dans le sens de lâHistoire. Hitler disait ainsi : « (...) je me dois de prendre
certaines dĂ©cisions mĂȘme si une analyse dĂ©passionnĂ©e me dĂ©montre mille fois que leur
mise en Ćuvre comporte des dangers et ne mĂšnera pas Ă une issue satisfaisante » ; « Ni
les menaces ni les avertissements ne me feront dévier de mon chemin. Je suivrai la voie
qui mâa Ă©tĂ© assignĂ©e par la Providence avec la certitude instinctive du somnambule ».
80
Le Japon dâavant 1945 valorisait la tradition impĂ©riale, dâorigine cĂ©leste, pour laquelle
tous les sacrifices pouvaient ĂȘtre justifiĂ©s (ex : kamikaze). La dĂ©cision dâentrer en guerre
contre les Ătats-Unis en 1941 Ă©tait le choix de lâhĂ©roĂŻsme au risque de la dĂ©faite.
81
La
dĂ©cision de reddition de 1945 nâallait pas de soi : le ministre de la Guerre Korechiki
Anami demandait « une derniĂšre grande bataille sur le sol japonais â comme lâexige
lâhonneur national. (...) Ne serait-il pas merveilleux de voir cette nation toute entiĂšre
détruite comme une belle fleur ? »
82
.
Selon certains observateurs, la culture stratĂ©gique de la CorĂ©e du Nord nâen serait pas
éloignée. Les dirigeants du pays valorisent la pureté de la « race » nord-coréenne, avec
là aussi une forte dimension spirituelle ; ceci les rendrait, forts de leur supériorité,
indiffĂ©rents au droit international. Un analyste en conclut que « lâirrationalitĂ© de leur
76
Mahdi Obeidi, « Saddam, the Bomb and Me », The New-York Times, 26 septembre 2004.
77
Cf. ces mots de Winston Churchill : « La dissuasion ne sâapplique pas au cas des cinglĂ©s ou des
dictateurs tels quâHitler lorsquâil se trouva dans son dernier repaire » (Intervention Ă la Chambre des
communes, 1
er
mars 1955).
78
Methvin, op. cit.
79
Erich Fromm, War Within Man. A Psychological Inquiry into the Roots of Destructiveness. A Study and
Commentars (Philadelphia: American Philadelphia Service Committee, 1963).
80
Cité in Keith B. Payne, « The Fallacies of Cold War Deterrence and a New Direction », Comparative
Strategy, vol. 22, n° 55, p. 417.
81
Ronald Spector, The Eagle Against the Sun (New-York: Free Press, 1985), p. 78.
82
Cité in Payne, « The Fallacies of Cold War Deterrence⊠», op. cit., p. 417.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
17
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
vision du monde est telle que nous devrions, Ă tout le moins, cesser de partir du
principe quâils nâemploieraient jamais leurs armes [nuclĂ©aires].
83
LâIran contemporain est marquĂ© par la tradition chiite duodĂ©cimaine, Ă fort contenu
eschatologique, et qui valorise la souffrance et le martyre.
84
Lâayatollah Khomeini est
rĂ©putĂ© avoir dit en 1980 : « Nous ne vĂ©nĂ©rons pas lâIran, nous vĂ©nĂ©rons Allah. Le
patriotisme est le masque du paganisme. Je vous le dis : ce pays peut brûler. Je vous le
dit : ce pays peut bien partir en fumĂ©e, du moment que lâIslam en ressort triomphant
dans le reste du monde ».
85
Comme on le sait, le pouvoir actuel est de surcroßt marqué
par les tendances apocalyptiques. Lâayatollah Khamenei a fait son Ă©ducation religieuse
au séminaire de Mashad (et non à celui de Qom, ce qui était le cas de Khomeini), qui
entretient une interprĂ©tation Ă©sotĂ©rique des textes sacrĂ©s, et oĂč lâon considĂšre que la
raison et la foi sont incompatibles.
86
Le président Ahmadinejad est influencé par le
messianisme de lâayatollah Mohammed Taqi Mezbah Yazdi. Il est rĂ©putĂ© ĂȘtre un adepte
de la pratique de lâestekhareh, qui consiste Ă chercher le conseil de lâautoritĂ© divine
avant de prendre une décision, notamment par la bibliomancie.
87
Lâayatollah Ahmed
Jannati, prĂ©sident du Conseil des gardiens, est un velayati, adepte dâune forme
dâextrĂ©misme chiite qui voit dans lâimam une source de pouvoir surnaturel. Il Ă©voque
rĂ©guliĂšrement lâimminence du retour du Mahdi.
88
Les officiers du CGRI seraient
particuliĂšrement rĂ©ceptifs aux thĂšses apocalyptiques â au point, pour certains, de se
considérer comme des « soldats du Mahdi ».
89
On connaĂźt Ă©galement la formule dĂ©jĂ
citĂ©e de Hashemi Rafsandjani selon laquelle « lâemploi dâune seule arme nuclĂ©aire
contre Israël détruirait tout, mais, contre le monde islamique, ne causerait que des
dommages limitĂ©s », qui suggĂšre que lâemploi de lâarme nuclĂ©aire contre IsraĂ«l pourrait
ĂȘtre concevable.
90
Certains analystes déduisent de ces paramÚtres que la dissuasion
est impossible face Ă lâIran : « (...) il nâest pas possible de se fier Ă la dissuasion face Ă
un rĂ©gime dirigĂ© par des islamo-fascistes qui sont prĂȘts Ă mourir pour leur valeurs et se
préoccupent davantage de répandre leur idéologie et leur pouvoir que de protéger leur
population. Si lâIran obtient la Bombe, ce nâest pas lui qui sera dissuadĂ©, câest nous ».
91
83
B. R. Myers, « Kim Jong Ilâs suicide watch », The International Herald Tribune, 12 octobre 2006.
84
« Les opĂ©rations qui visent au martyre sont le summum de lâhonneur dâune nation » (Khamenei, discours
du 1
er
mai 2003) ; « Une sociĂ©tĂ© qui a lâesprit de martyre ne pourra jamais connaĂźtre la dĂ©faite. (...) et si
nous voulons rĂ©soudre les problĂšmes sociaux dâaujourdâhui, nous devons en revenir Ă la culture des
martyrs » (Ahmadinejad, Kayhan, 7 mars 2005). « Y a-t-il un art plus beau, plus divin, et plus éternel que
celui du martyre ? » (Ahmadinejad, Intervention à la télévision iranienne, 25 juillet 2005).
85
Cité in Norman Podhoretz, « The Case for Bombing Iran », Commentary, juin 2007. Il convient de noter
que la vĂ©racitĂ© de cette citation, produite originellement par lâexpert Amir Taheri dans son ouvrage Nest of
Spies, est discutée (« Is Iran suicidal or deterrable ? », Economist.com, 14 novembre 2007).
86
Mehdi Khalaji, Apocalyptic Politics. On the Rationality of Iranian Policy, The Washington Institute for
Near East Policy, 2008.
87
Ibid., p. 16.
88
Ibid., p. 23.
89
Mehdi Khalaji, « Apocalyptic Visions and Iranâs Security Policy », in Patrick Clawson & Michael
Eisenstadt, Deterring the Ayatollahs. Complications in Applying Cold War Strategy to Iran, The
Washington Institute for Near East Policy, 2007, p. 31.
90
Sermon Ă lâuniversitĂ© de TĂ©hĂ©ran, dĂ©cembre 2001.
91
Norman Podhoretz, « Stopping Iran: Why the Case for Military Action Still Stands », Commentary,
février 2008.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
18
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
Selon lâislamologue Bernard Lewis, pour Ahmadinejad, « la destruction mutuelle
assurĂ©e nâest pas un Ă©lĂ©ment dissuasif, mais un facteur dâencouragement ».
92
MĂȘme
ceux qui, comme Reuel Marc Gerecht, reconnaissent que « la théorie de la dissuasion
pourrait effectivement fonctionner contre le régime clérical » font néanmoins preuve
dâun grand scepticisme : « nous nâavons jamais Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă un rĂ©gime dans lequel
lâantiamĂ©ricanisme, la violence, le terrorisme et le jugement divin sont aussi intimement
liés ».
93
De mĂȘme Edward Luttwak, opposĂ© Ă une action militaire contre lâIran, estime-t-
il que la dissuasion mutuelle ne pourrait pas ĂȘtre assurĂ©e avec le rĂ©gime actuel.
94
Les derniĂšres dĂ©cennies ont Ă©galement vu lâapparition de nouvelles interprĂ©tations de
la tradition islamiste, qui rendent légitime des formes de lutte armée traditionnellement
frappĂ©es dâun interdit. Ainsi en est-il de la distinction entre combattants et civils,
notamment Ă lâĂ©gard des dĂ©mocraties, qui, est-il remarquĂ©, Ă©lisent leurs reprĂ©sentants.
De mĂȘme lâusage de moyens de destruction de masse est-il justifiĂ© par certains thĂ©ori-
ciens religieux. On connaĂźt le TraitĂ© sur le droit de lâusage des armes de destruction
massive contre les InfidÚles, publié en 2003 par le dissident saoudien Hamad el-Fahd,
qui autorise, Ă titre de riposte, le massacre de dix millions dâAmĂ©ricains.
95
MĂȘme avec un adversaire rĂ©ceptif, le dialogue dissuasif peut avoir ses limites dĂšs lors
quâĂ partir dâun certain niveau dâescalade, les « valeurs » priment sur les « intĂ©rĂȘts ».
Saddam Hussein avertissait avant la guerre du Golfe : « Ne nous poussez pas jusquâau
point oĂč nous cesserons de calculer. Si nous avons le sentiment que vous voulez blesser
notre fierté (...), alors nous cesserons de réfléchir, et nous choisirons la mort. (...) Car
sans la fiertĂ© la vie nâaurait pas de valeur ».
96
Au bout du compte, il apparaĂźt, comme le suggĂšre Colin Gray, lâun des principaux critiques
contemporains de la thĂ©orie de la dissuasion, que « le problĂšme nâest pas lâadversaire
irrationnel, mais plutĂŽt lâennemi parfaitement rationnel qui cherche avec dĂ©termination, et
une grande rationalité, à atteindre des objectifs qui nous semblent parfaitement
irrationnels. [Il est celui] dâennemis dont le comportement entiĂšrement rationnel alloue
dĂ©libĂ©rĂ©ment des instruments dâaction politique (par exemple, les attentats suicides) Ă
des objectifs politiques qui sont un affront Ă nos valeurs, y compris les normes
internationales du droit et de la morale ».
97
Les exemples citĂ©s ci-dessus ne font pas tant apparaĂźtre « lâirrationalitĂ© » de certains
acteurs quâune forme particuliĂšre et diffĂ©rente de rationalitĂ©. On peut rattacher de tels
comportements Ă lâaction « rationnelle en valeur » (Wertrational) que Max Weber
diffĂ©rencie de lâaction « rationnelle en finalitĂ© » (Zweckrational). Il sâagit dâune forme
de rationalitĂ© qui suscite des actions entiĂšrement basĂ©es sur les valeurs de lâacteur, et
peut, de ce fait, dĂ©boucher sur lâemploi de moyens irrationnels.
92
Cité in Podhoretz, « Stopping Iran: Why the Case for Military Action Still Stands », op. cit.
93
Reuel Marc Gerecht, « To Bomb or Not to Bomb », The Weekly Standard, 24 avril 2006, p. 24.
94
Edward N. Luttwak, « Three Reasons Not to Bomb Iran â Yet », Commentary, mai 2006.
95
Noah Feldman, « Nuclear holocaust: A risk too big even for martyrs? », The International Herald
Tribune, 27 octobre 2006.
96
Cité in Don Oberdorfer, « Missed Signals in the Middle East », The Washington Post, 17 mars 1991.
97
Colin S. Gray, Maintaining Effective Deterrence, Strategic Studies Institute, US Army War College, août
2003, p. vii, p. 22.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
19
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
2.2 â
Limites et incertitudes de la dissuasion : la dimension stratégique
Le bon fonctionnement de la dissuasion suppose en outre un certain nombre de conditions
stratĂ©giques essentielles : la bonne comprĂ©hension de lâadversaire, la rĂ©ceptivitĂ© Ă la
menace de dommages sur le territoire, lâexistence dâun centre unique de dĂ©cision et
dâune communication efficace. Il est rare que ces trois conditions soient remplies.
2.2.1 â
La bonne comprĂ©hension de lâadversaire
La dissuasion suppose la bonne comprĂ©hension mutuelle des adversaires, de leurs intĂ©rĂȘts
respectifs et de leurs perceptions des enjeux. Or cette condition nâest pas toujours
remplie, tant sâen faut.
Les études sur les échecs de la dissuasion (au sens général du terme) révÚlent que ceux-
ci sont le plus souvent causĂ©s par lâabsence de comprĂ©hension mutuelle des intentions
de lâadversaire, de sa perception des enjeux, etc.
98
La mauvaise compréhension des
intĂ©rĂȘts de lâautre partie et de sa perception des enjeux est ainsi un problĂšme rĂ©current.
Robert MacNamara rĂ©sume lâincomprĂ©hension entre Washington et Hanoi de la maniĂšre
suivante : « Nous ne les connaissions pas assez bien pour nous mettre dans une situation
dâempathie. Au rĂ©sultat, le malentendu Ă©tait total, en quelque sorte. Ils pensaient que
nous avions simplement pris la place des Français en tant que puissance coloniale (...)
Et nous â nous considĂ©rions le Vietnam comme un Ă©lĂ©ment de la Guerre froide. Pas
comme une guerre civile ».
99
En 1981, lâUnion soviĂ©tique, on le sait maintenant, pensait rĂ©ellement que les Ătats-
Unis pouvaient envisager une action militaire contre le Pacte de Varsovie, au point de
décider une opération majeure de collecte de renseignement (projet RYaN) pour savoir
quand aurait lieu lâattaque occidentale.
100
Des manĆuvres militaires peuvent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es comme le prĂ©lude Ă une invasion
(cf. exercice de lâOTAN Able Archer en 1983, exercice indien Brasstacks en 1987âŠ).
101
Un accident peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme le prĂ©lude Ă une agression (destruction dâun
Airbus iranien par lâUSS Vincennes en 1988).
Enfin, les motivations de politique interne (Nehru en 1962, Kennedy lors de la crise de
CubaâŠ) peuvent ne pas ĂȘtre connues de lâadversaire ou comprises par lui.
LâincomprĂ©hension des valeurs occidentales est un trait frĂ©quemment rencontrĂ© dans le
monde, notamment musulman ; la dĂ©termination des Occidentaux Ă se dĂ©fendre et Ă
dĂ©fendre leurs intĂ©rĂȘts hors du territoire national, au prix dâopĂ©rations militaires risquĂ©es,
98
Robert Jervis, Richard Ned Lebow & Janice Gross Stein, Psychology and Deterrence (Baltimore: Johns
Hopkins University Press, 1985).
99
Témoignage de Robert MacNamara in The Fog of War (documentaire, 2004).
100
RYaN Ă©tait lâabrĂ©viation de Raketno-Yadernoe Napadenie (« attaque de missiles nuclĂ©aires »)
101
Les craintes soviĂ©tiques Ă lâĂ©gard de lâexercice Able Archer Ă©taient dâautant plus grandes quâils avaient
remarqué une intensification spectaculaire des échanges télégraphiques entre Washington et Londres. En
fait, celle-ci Ă©tait due Ă lâinvasion de la Grenade, quelques jours auparavant.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
20
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
est frĂ©quemment sous-estimĂ©e. CâĂ©tait le cas, comme on le sait, pour Oussama ben
Laden, mais aussi pour Slobodan Milosevic ou encore Saddam Hussein.
102
(Ce dernier a
avouĂ© quâil se fiait aux films amĂ©ricains pour sa connaissance de la culture du pays.
103
)
De mĂȘme, lâIran avait tirĂ© comme conclusion de lâabsence de rĂ©action de la part de la
France et des Ătats-Unis face Ă ses agissements dans les annĂ©es 1980 un sentiment
dâimpunitĂ© et avait Ă©tĂ© confortĂ© dans sa stratĂ©gie de confrontation indirecte.
104
De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, la connaissance des valeurs suprĂȘmes et des « lignes rouges »
potentielles de lâadversaire est rarement optimale. Et rien nâest pire que le scĂ©nario
dans lequel les deux parties croient connaĂźtre celles-ci et se trompent (cf. encore lâAsie
du sud, et la confiance excessive des deux cÎtés dans le niveau de connaissance et de
comprĂ©hension de lâautre).
Les anticipations stratégiques erronées relevant de telles incompréhensions sont
lĂ©gion dans lâhistoire rĂ©cente :
La guerre russo-japonaise. Moscou nâimaginait pas quâun pays asiatique puisse
sâen prendre militairement Ă une grande puissance europĂ©enne, Ă©vĂ©nement sans
précédent.
105
La PremiÚre guerre mondiale. Le régime tsariste estimait que la mobilisation du
pays contribuerait Ă Ă©viter la guerre ; et lâAllemagne sâĂ©tait abstenue de lui faire
comprendre quâune telle mobilisation Ă©tait pour elle un casus belli.
106
Les accords de Munich. Le choix de lâappeasement Ă©tait fondĂ© sur lâidĂ©e selon
laquelle Hitler était un homme fondamentalement raisonnable. Mais ce dernier
interprĂ©ta les accords comme un signe de lâabsence de dĂ©termination Ă dĂ©fendre la
Pologne, qui ne pouvait pas, selon lui, avoir une grande valeur pour les Alliés.
107
La guerre du Pacifique. Les Ătats-Unis nâavaient pas suffisamment fait comprendre
au Japon que la conquĂȘte de la Chine Ă©tait une question dâimportance stratĂ©gique
majeure pour eux.
108
De surcroßt, les dirigeants américains ne pouvaient pas croire
que Tokyo prendrait le risque irrationnel de sâattaquer aux Ătats-Unis.
109
Le Japon,
pour sa part, ne prit pas suffisamment au sĂ©rieux lâultimatum de Potsdam (16 juillet
1945), qui pourtant menaçait les forces armĂ©es du pays dâune « destruction
inĂ©vitable et totale » et le territoire nippon dâune « dĂ©vastation complĂšte ».
102
Pour Saddam Hussein : Woods et al., op. cit., p. 15, p. 29. Pour Slobodan Milosevic: Payne, « The
Fallacies of Cold War Deterrence⊠», op. cit., p. 414.
103
« Interrogator Shares Saddamâs Confessions », CBS News, 27 janvier 2008.
104
Shahram Chubin, Iranâs âRisk-Takingâ in Perspective, Proliferation Papers, IFRI, Paris, hiver 2008,
p. 21.
105
Payne, « The Fallacies of Cold War Deterrence⊠», op. cit., p. 414.
106
Richard Ned Lebow, Nuclear Crisis Management. A Dangerous Illusion (Ithaca: Cornell University
Press, 1987), p. 109.
107
Keith B. Payne, Deterrence in the Second Nuclear Age (Lexington: University Press of Kentucky,
1996), p. 114.
108
Ziemke & al., op. cit., p. 65.
109
Payne, « The Fallacies of Cold War Deterrence⊠», op. cit., p. 411.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
21
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
La guerre de CorĂ©e. Josef Staline et Kim Jong-Il nâimaginaient pas que lâAmĂ©rique
puisse sâengager massivement dans la dĂ©fense de la CorĂ©e du Sud.
110
Et Washington
ne prit pas au pied de la lettre les avertissements de la Chine en cas de franchissement
du 38
Ăšme
parallĂšle.
111
Mais Mao Zedong estimait quâil nây avait pas dâalternative Ă la
guerre, car il voyait lâintervention amĂ©ricaine comme faisant partie dâune stratĂ©gie
dâencerclement de la Chine.
112
La crise de Cuba. La communauté américaine du renseignement estimait que
Moscou nâinstallerait pas de missiles Ă Cuba, au motif, notamment, quâune telle
action sâinscrirait en rupture avec ce quâelle estimait ĂȘtre la pratique et la culture
soviétiques.
113
De son cĂŽtĂ©, Nikita Khrouchtchev pensait quâun tel dĂ©ploiement allait
simplement faire piĂšce aux missiles amĂ©ricains en Turquie, et quâil Ă©tait donc
probablement acceptable pour les Ătats-Unis.
114
La guerre du Vietnam. Lâadministration Johnson avait considĂ©rablement sous-
estimĂ© la dĂ©termination des Nord-Vietnamiens Ă se battre pour lâunification du pays
et leur disponibilité au sacrifice à cet effet.
115
MacNamara partait du principe quâils
finiraient par rechercher un compromis avec les Ătats-Unis.
116
La guerre sino-indienne. Les dirigeants indiens estimaient que PĂ©kin nâentrerait pas
en guerre en réponse aux incursions dans la zone contestée (et la Chine restait
mesurĂ©e dans ses avertissements Ă lâInde).
117
La guerre du Kippour. Forte de sa victoire de 1967, lâarmĂ©e israĂ©lienne nâimaginait
pas que lâĂgypte puisse dĂ©cider dâentrer en guerre sans sâĂȘtre renforcĂ©e, et
interprĂ©tait les prĂ©paratifs Ă©gyptiens selon une grille dâanalyse erronĂ©e.
118
Sadate, de
son cĂŽtĂ©, escomptait un soutien soviĂ©tique â et une abstention amĂ©ricaine â au cas
oĂč les choses tourneraient mal.
119
La guerre des Malouines. La junte argentine ne sâattendait pas Ă ce que Londres
lance sa plus grande expédition outre-mer depuis Suez pour libérer un lointain territoire
110
Evgueni Bajanov, présentation à la conférence « The Korean War: An Assessment of the Historical
Record », Université de Georgetown, 24-25 juillet 1995 ; Kathryn Weathersby, Soviet Aims in Korea and
the Origins of the Korean War: 1945-1950: New Evidence from the Soviet Archives, Working Paper 8,
Woodrow Wilson Center, Cold War History Project, novembre 1993. On se souvient par ailleurs des
dĂ©clarations de Dean Acheson excluant implicitement la CorĂ©e du Sud du « pĂ©rimĂštre dĂ©fensif » des Ătats-
Unis (12 janvier 1950).
111
Lebow, Nuclear Crisis Management, op. cit., p. 108.
112
Payne, « The Fallacies of Cold War Deterrence⊠», op. cit., pp. 411-412.
113
Ibid., p. 412.
114
Lebow, Nuclear Crisis Management, op. cit., p. 133.
115
Jeffrey Record, Nuclear Deterrence, Preventive War, and Counterproliferation, Policy Analysis
n° 519, The Cato Institute, 8 juillet 2004.
116
Payne, « The Fallacies of Cold War Deterrence⊠», op. cit., p. 413.
117
Lebow, Nuclear Crisis Management, op. cit., p. 108.
118
Chaim Herzog, The Arab-Israeli Wars. War and Peace in the Middle East from the War of
Independence through Lebanon (New-York: Vintage Books, 1984), p. 228.
119
Caroline F. Ziemke, Philippe Loustaunau & Amy Alrich, Strategic Personality and the Effectiveness of
Nuclear Deterrence, Institute for Defense Analyses / Defense Threat Reduction Agency, IDA Document
D-25537, novembre 2000, p. 41.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
22
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
dépendant.
120
Londres, de son cĂŽtĂ©, par volontĂ© dâapaiser les tensions bilatĂ©rales,
sâĂ©tait abstenue de quel quâavertissement que ce soit envers Buenos-Aires.
121
Lâinvasion du KoweĂŻt. Saddam Hussein ne pensait pas que lâinvasion du KoweĂŻt
dĂ©clencherait une telle rĂ©action de la part des Ătats-Unis.
122
De leur cĂŽtĂ©, les Ătats-
Unis, qui avaient repéré la concentration des forces irakiennes aux frontiÚres du
KoweĂŻt, estimaient quâune invasion ne serait pas une dĂ©cision rationnelle et ne
cadrerait pas avec lâanalyse amĂ©ricaine du comportement traditionnel de Saddam.
123
(Saddam a avouĂ© avoir lancĂ© lâinvasion du KoweĂŻt aprĂšs une insulte personnelle
profĂ©rĂ©e par lâĂ©mir du KoweĂŻt.
124
)
La crise du Kosovo. Slobodan Milosevic ne pensait pas que lâOTAN procĂšderait Ă
une escalade aĂ©rienne prolongĂ©e, et sâattendait Ă un soutien de la Russie.
125
De son
cĂŽtĂ©, lâAlliance atlantique avait sous-estimĂ© la dĂ©termination de la Serbie Ă rĂ©sister.
126
Lâoffensive de Kargil. Les gĂ©nĂ©raux pakistanais estimaient, en 1999, que la possession
dĂ©sormais avĂ©rĂ©e de lâarme nuclĂ©aire par le Pakistan inhiberait une rĂ©action militaire
indienne forte.
La guerre contre lâIrak. Saddam Hussein, en 2003, aprĂšs avoir longuement refusĂ©
dâimaginer que les Ătats-Unis puissent attaquer de nouveau lâIrak (cf. supra.),
sâattendait Ă une action amĂ©ricaine limitĂ©e (du type de celle de 1998), et non Ă une
invasion.
127
De leur cĂŽtĂ©, les Ătats-Unis, et avec eux de nombreux analystes
occidentaux, ne pouvaient pas imaginer que lâIrak se soit dĂ©barrassĂ© de ses armes de
destruction massive (au vu de lâimportance quâelles avaient, pensait-on, pour le
rĂ©gime) et nâait gardĂ© aucune trace visible de cette dĂ©cision (au vu de la nature
autoritaire, donc procĂ©duriĂšre, du mĂȘme rĂ©gime).
La troisiĂšme guerre du Liban. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, ne
sâattendait pas Ă une rĂ©action israĂ©lienne aussi vive.
128
De leur cÎté, les Israéliens
nâavaient pas imaginĂ©, semble-t-il, que les combattants ennemis puissent ĂȘtre aussi
bien aguerris et entraßnés aux techniques modernes de combat.
129
A la suite de lâĂ©tude approfondie dâune sĂ©rie de crises internationales, le thĂ©oricien
Robert Jervis conclut : « il est trÚs rare que les deux adversaires comprennent les
120
Il sâagit, avec les attaques de 1973 (guerre du Kippour) et de 1991 (Scud irakiens contre IsraĂ«l), de lâun
des trois cas dâagression dâun Ătat non nuclĂ©aire contre le territoire dâun Ătat nuclĂ©aire.
121
Payne, Deterrence in the Second Nuclear Age, op. cit., pp. 114-115.
122
Saddam Hussein avait retenu de son entretien avec lâambassadrice amĂ©ricaine April Glaspie (25 juillet
1990) que le différend irako-koweïtien était aux yeux de Washington une affaire bilatérale sur laquelle les
Ătats-Unis nâavaient pas dâopinion.
123
Alex Hybel, Power over Rationality (Albany: University of New-York Press, 1993), pp. 51-56.
124
« Interrogator Shares Saddamâs Confessions », CBS News, 27 janvier 2008.
125
Payne, « The Fallacies of Cold War Deterrence⊠», op. cit., p. 414, p. 422.
126
Bill Sammon, « Clinton Misread Yugoslav Resolve », The Washington Times, 21 juin 1999.
127
« Interrogator: Invasion Surprised Saddam », CBS News, 24 janvier 2008.
128
Amos Malka, « Israel and Asymmetrical Deterrence », Comparative Strategy, vol. 27, 2008, p. 15.
129
Adam Garfinkle, Culture and Deterrence, Foreign Policy Research Institute, 25 août 2006, p. 6.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
23
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
objectifs, les peurs, les stratĂ©gies, et les perceptions de lâautre. Lâempathie est difficile
et généralement absente ».
130
Entre deux pays dotĂ©s dâarmes nuclĂ©aires, la « courbe dâapprentissage » de la
dissuasion peut ĂȘtre longue et empreinte de risques majeurs. La maĂźtrise du concept
de dissuasion doit exister au sein de tous les milieux impliqués dans le mécanisme de
mise en jeu des forces nucléaires ; ce ne sera pas le cas dans les régimes autoritaires, qui
cloisonnent volontiers le savoir et les responsabilités.
131
Entre deux acteurs, lâapprentissage
du dialogue dissuasif peut prendre du temps et susciter des dangers (la crise de Kargil
en 1999), voire des risques majeurs (la crise de Cuba en 1962, la crise de lâhiver 2001-
2002 en Asie du sud).
Les doctrines nuclĂ©aires elles-mĂȘmes sont souvent mal comprises. Ceci est dâautant
plus vrai que certains Ătats gardent secrĂšte leur capacitĂ© nuclĂ©aire (Afrique du Sud), ne
disent rien ou presque de leur doctrine (IsraĂ«l), ne lâexpriment que de maniĂšre semi-
officielle (Pakistan), et que des doutes existent parfois quant Ă la coĂŻncidence entre le
discours et la planification (Chine).
Enfin, certains dirigeants peuvent ĂȘtre tentĂ©s de faire croire quâils sont irrationnels en
pensant renforcer la dissuasion. Lâargument nâest pas dĂ©nuĂ© de fondement ; câest ce que
Thomas Schelling avait appelĂ© la « rationalitĂ©-de-lâirrationalitĂ© ». Richard Nixon tentait
ainsi de faire croire aux SoviĂ©tiques quâil Ă©tait prĂȘt Ă employer lâarme nuclĂ©aire pour
pousser ceux-ci Ă agir sur HanoĂŻ.
132
Mais lâemploi de cette technique est risquĂ©, car elle
peut amplifier les malentendus, voire susciter chez lâadversaire la tentation de la frappe
préemptive.
2.2.2 â
La réceptivité à la menace de dommages massifs contre le territoire
La dissuasion sera difficile vis-Ă -vis dâĂtats qui considĂšrent que lâenjeu vaut la peine de
sacrifier le pays entier.
Le cas de lâIran vient Ă lâesprit. Lorsque Rafsandjani dĂ©clare que « lâemploi dâune seule
arme nucléaire contre Israël détruirait tout, mais, contre le monde islamique, ne causerait
que des dommages limités », il suggÚre que la « dissuasion du faible au fort » pourrait
ne pas jouer entre Israël et le monde musulman en raison de la trop grande asymétrie
des enjeux. A lâextrĂȘme, câest le monde musulman tout entier quâil faudrait alors
menacer de dommages inacceptables pour dissuader TĂ©hĂ©ranâŠ
Les rĂ©gimes ayant une attitude particuliĂšrement brutale Ă lâĂ©gard de leur propre
population ne seraient sans doute pas susceptibles dâĂȘtre dissuadĂ©s par la menace
de représailles contre leurs villes. Les exemples de tels régimes abondent : on peut
citer lâURSS de Staline, la Chine de Mao ou la CorĂ©e du Nord de Kim, qui ont tous
130
Robert Jervis, « Rational Deterrence: Theory and Evidence », World Politics, vol. 41, n° 2, janvier 1989,
p. 198.
131
Ce ne sera mĂȘme pas nĂ©cessairement le cas dans certaines dĂ©mocraties : jusquâĂ une pĂ©riode trĂšs
récente, les militaires indiens étaient totalement « coupés » de la gestion du nucléaire.
132
Joseph Gerson, Empire and the Bomb. How the US Uses Nuclear Weapons to Dominate the World (Ann
Arbor: University of Michigan Press, 2006), p. 156.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
24
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
montré une forte disponibilité à tuer ou à laisser mourir délibérément une grande partie
de leur propre population. Le Paraguay a perdu environ 60 % de sa population civile
dans la guerre qui lâa opposĂ© Ă ses voisins entre 1864 et 1870 (guerre de la Triple
alliance). Adolf Hitler avait dit : « Je dois atteindre lâimmortalitĂ© mĂȘme si la nation
allemande tout entiÚre doit disparaßtre pour cela ».
133
En 1958, Mao Zedong suggérait :
« il est possible que la moitiĂ© de la Chine doive mourir » en raison de lâexportation des
deux-tiers de la production de cĂ©rĂ©ales vers lâUnion soviĂ©tique, dont le soutien Ă©tait
crucial pour le développement des capacités militaires et nucléaires du pays.
134
Il
considĂ©rait que la mort de centaines de millions de Chinois lors dâun conflit nuclĂ©aire
ne serait « pas une grande perte ».
135
LâIran rĂ©volutionnaire a montrĂ© lors de la guerre
Iran-Irak quâil Ă©tait prĂȘt Ă envoyer Ă la mort des dizaines de milliers de jeunes
« volontaires » dans de vaines offensives terrestres (et mĂȘme, parfois, pour le simple
déminage).
136
Le bombardement des villes irakiennes à partir de 1984 fut justifié par le
fait que la population de lâIrak pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme « combattante »,
puisquâelle se refusait Ă renverser Saddam Hussein.
137
Sur lâIrak lui-mĂȘme, on peut
rappeler le gazage des populations kurdes en 1988 et la brutalité de la répression contre
les populations chiites aprÚs 1991. Quant à la Corée du Nord, Kim Jong-Il déclarait en
1996 quâil suffirait de 30 % de la population nord-corĂ©enne pour reconstruire une
société victorieuse.
138
Certains suggĂšrent que les conditions dâexercice de la violence au Moyen-Orient ont
profondément changé depuis un siÚcle. La tradition islamique de discrimination entre
civils et combattants se serait estompée au fil des interactions avec le monde occidental
et de la pĂ©nĂ©tration des idĂ©es laĂŻques ; les massacres dâArmĂ©niens par lâEmpire ottoman
aurait été la premiÚre manifestation de cette évolution. Cette évolution se serait accélérée
ces derniÚres décennies avec le développement des attentats-suicides, accompagné
dâune gĂ©nĂ©ralisation de la rhĂ©torique du « martyre » et du « sacrifice ». Lâexercice de la
dissuasion pourrait sâen trouver plus complexe.
139
Autre cas problĂ©matique : celui du rĂ©gime en voie dâĂȘtre dĂ©fait et estimant ainsi
nâavoir plus rien Ă perdre. Lâemploi de moyens de destruction de masse serait alors
une forme de « revanche posthume par anticipation ». Le ou les dirigeants concernés
pourraient vouloir chercher, de la sorte, Ă gagner une place dans les livres dâHistoire, ou
à tout le moins prévenir la victoire de leur adversaire ; ce fut le sens du « décret Néron »
promulgué par Hitler le 19 mars 1945 (ordre de destruction sur le territoire allemand de
toute installation utilisable par lâennemi aprĂšs la guerre).
133
Eugene H. Methvin, « Hitler and Stalin, 20
th
Century Killers », The National Review, 31 mai 1985.
134
Donald Morrison, « Taking Aim at Mao », Time, 6 juin 2005.
135
Cité in Payne, « The Fallacies of Cold War Deterrence⊠», op. cit., p. 417.
136
LâĂ©pisode rappelle celui des 5 000 « enfants-soldats » dâHitler, endoctrinĂ©s et envoyĂ©s au combat dans
les derniers jours du siĂšge de Berlin. 90 % dâentre eux pĂ©rirent. (Il convient dâajouter que ce sacrifice dâune
partie de la jeunesse iranienne Ă©tait trĂšs impopulaire, Ă la fois dans le clergĂ© et dans lâopinion. Ziemke,
« The National Myth and Personality of Iran », op. cit., pp. 112-113.)
137
John Kelsay, Islam and War: A Study in Comparative Ethics (Louisville: Westminster/John Knox Press,
1993), p. 75.
138
Fiona Terry, The Deadly Secrets of North Korea, Médecins sans FrontiÚres, août 2001,
139
Feldman, op. cit.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
25
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
Rappelons quâil existe de nombreux exemples dans le passĂ© de sociĂ©tĂ©s ayant prĂ©fĂ©rĂ© le
risque de destruction totale à la reddition. Ce fut le cas pour les Méliens face au
chantage dâAthĂšnes (-416), ou pour les habitants de Kiev assiĂ©gĂ©s par les Mongols
(1240). Il existe également des exemples de suicide collectif face à la menace extérieure, tel
que celui des Sicaires de Massada (72), ou encore, exemple plus directement pertinent
ici, celui des dirigeants du Reich dans leur bunker (1945).
Enfin, lâhypothĂšse extrĂȘme dâun Ătat dont une partie du territoire Ă©chappe au
contrĂŽle du pouvoir central (Waziristan, Sud-Liban, Gaza, SomalilandâŠ), et dans
lequel un groupe terroriste disposerait dâune arme nuclĂ©aire transportable, poserait un
problÚme majeur : serait-il possible de faire jouer la dissuasion de maniÚre crédible dans
un tel cas ?
2.2.3 â
Lâexistence dâun centre de dĂ©cision unique et dâune communication efficace
Lâexistence dâun centre de dĂ©cision unique, ayant accĂšs Ă lâinformation en temps rĂ©el,
bien identifiĂ© et considĂ©rĂ© comme lĂ©gitime par lâadversaire, est indispensable au vu de
la rapiditĂ© des rĂ©actions nĂ©cessaires au cours dâune crise Ă dimension nuclĂ©aire. Or dans
certains cas, lâidentification de ce centre de pouvoir, et lâĂ©tablissement dâune communi-
cation sĂ»re et directe avec lui, nâest pas facile :
Les Ătats gouvernĂ©s par la peur ou le mensonge, dont les dirigeants sont coupĂ©s
de lâaccĂšs Ă lâinformation.
Dans de tels régimes, il est fréquent que les informations
(notamment lorsquâil sâagit de mauvaises nouvelles) soit cachĂ©es ou filtrĂ©es. « Câest
lâune des raisons pour lesquelles de tels dictateurs semblent ne pas agir rationnel-
lement. Mais en fait ils agissent rationnellement sur la base de leur compréhension
de la situation â une situation Ă propos de laquelle ils ne peuvent pas disposer dâune
description vĂ©ridique et honnĂȘte. »
140
Ainsi, alors mĂȘme que les forces amĂ©ricaines
sâapprochaient de Bagdad, Saddam Hussein, qui ne recevait que des rapports
optimistes de la part de ses subordonnĂ©s, continuait-il dâĂȘtre confiant dans la victoire
finaleâŠ
141
(Parfois, les dirigeants concernĂ©s ne cherchent mĂȘme pas Ă ĂȘtre nourris
dâinformations par leurs services ; au renseignement, Saddam Hussein prĂ©fĂ©rait
souvent lâintuition, y compris Ă travers ses rĂȘves nocturnes.
142
) La Corée du Nord
pourrait ĂȘtre dans une situation analogue.
143
Les régimes autoritaires de nature collégiale ou fondés sur un équilibre entre
plusieurs centres de pouvoir. La prise de dĂ©cision stratĂ©gique peut y ĂȘtre difficile :
elle suppose lâexistence dâun arbitre suprĂȘme Ă lâautoritĂ© incontestĂ©e (ce qui Ă©tait le
cas en Iran de Khomeiny pour la dĂ©cision de mettre un terme Ă la guerre avec lâIran,
mais ce qui nâest sans doute plus le cas avec Khameini
144
). Au cours dâune crise, la
reprĂ©sentativitĂ© des interlocuteurs pourrait ĂȘtre mise en doute. On peut citer, Ă cet
140
Shmuel Bar, « âVictory is somewhat archaicâ », The Jerusalem Post, 17 janvier 2008.
141
Woods et al., op. cit., p. 32.
142
Ibid., p. 12.
143
Joseph S. Bermudez, North Koreaâs Strategic Culture, Science Applications International Corporation,
31 octobre 2006, p. 11.
144
Selon une Ă©tude approfondie, le vrai pouvoir en Iran appartiendrait Ă un petit groupe informel dâune
dizaine de hauts responsables religieux. Wilfried Buchta, Who Rules Iran? The Structure of Power in the
Islamic Republic, The Washington Institute for Near East Policy, 2000.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
26
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
égard : les interrogations austro-hongroises devant le caractÚre divergent et contra-
dictoire des messages envoyés par les différentes autorités allemandes en juillet
1914
145
; ou encore les doutes amĂ©ricains sur lâautoritĂ© de Khrouchtchev Ă la lecture
de certaines télécopies reçues de Moscou au plus fort de la crise de Cuba. Dans les
rĂ©gimes oĂč lâarmĂ©e tient une place importante, comment ĂȘtre sĂ»r, en temps de crise,
que lâon sâadresserait au bon interlocuteur ? Le Premier secrĂ©taire du Parti communiste
chinois, le « Cher dirigeant » nord-coréen, ou encore le Premier ministre du Pakistan
nâauraient probablement pas la capacitĂ© de prendre des dĂ©cisions seulsâŠ
Les pays sous influence dâun acteur non Ă©tatique. Sur le territoire dâun pays adverse,
lâexistence dâacteurs non Ă©tatiques bien armĂ©s, avec une forte capacitĂ© dâaction
stratĂ©gique, pourrait poser problĂšme Ă lâexercice de la dissuasion. A qui sâadresser
dans un tel cas ? Aux dirigeants de lâĂtat sur le territoire duquel opĂšre le groupe, ou
aux responsables du groupe ?
Les Ătats effondrĂ©s ou en voie dâeffondrement. Il sâagit sans doute dâune des
hypothĂšses les plus dangereuses dâemploi dâarmes de destruction massive. Dans une
telle situation, des armes de destruction massive pourraient se retrouver entre les
mains dâacteurs intermĂ©diaires mal identifiĂ©s, avec lesquels la communication est
impossible, et qui de surcroĂźt nâauraient pas Ă©tĂ© familiarisĂ©s avec les disciplines de la
dissuasion. Pire encore : ils auraient peut-ĂȘtre reçu une « prĂ©-dĂ©lĂ©gation » de
lâautoritĂ© dâemploi. Ainsi Saddam Hussein avait-il donnĂ© aux officiers de lâOrganisation
spĂ©ciale de sĂ©curitĂ© (OSS), qui avaient en charge les missiles dotĂ©s de tĂȘtes chimiques et
biologiques, lâordre de tirer sur IsraĂ«l dĂšs lors quâils auraient acquis la conviction
que les communications avec Bagdad auraient Ă©tĂ© rompues en raison dâune frappe
nucléaire.
146
Dans un régime soumis à des influences internes multiples, certains centres de pouvoir
seraient susceptibles de jouer leur jeu propre, ce qui compliquerait dâautant lâexercice
de la dissuasion. Le cas exemplaire est celui de lâIran. Shahram Chubin note Ă juste
titre que « certains éléments du régime estiment en fait que la survie de ce dernier est
davantage susceptible dâĂȘtre garantie par la crise, le retranchement et la confrontation
plutÎt que par la modération et la normalité ».
147
Par ailleurs, le Corps des gardiens de
la RĂ©volution islamique pourrait avoir une conception diffĂ©rente de lâemploi des armes
nucléaires de celle qui est officiellement en vigueur. En effet, il semble considérer les
armes chimiques comme utilisables en premier dans les opérations maritimes, contrai-
rement à la conception qui prévaut dans la doctrine du pays, qui semble privilégier la
dissuasion (cf. supra.).
148
Or le CGRI a, par le passé, eu recours aux missiles balistiques
145
Jervis, « Rational Deterrence: Theory and Evidence », op. cit., p. 205.
146
Baram, op. cit., p. 34. Les commandants dâunitĂ©s de missiles Scud dotĂ©s de tĂȘtes chimiques ou biolo-
giques avaient pour instruction dâemployer ces moyens « au cas oĂč Bagdad serait frappĂ© par des armes
nucléaires » (Report of the Secretary-General on the Status of the Implementation of the Special
Commissionâs Plan for the Ongoing Monitoring and Verification of Iraqâs Compliance with Relevant Parts
of Section C of Security Council Resolution 687, Organisation des Nations-Unies, 11 octobre 1995).
147
Chubin, Iranâs âRisk-Takingâ in Perspective, op. cit., p. 12.
148
Gregory F. Giles, « The Islamic Republic of Iran and Nuclear, Biological, and Chemical Weapons », in
Lavoy et al., op. cit., pp. 97s.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
27
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
(contre le KoweĂŻt en 1991) dâune maniĂšre qui nâĂ©tait pas conforme Ă la doctrine exprimĂ©e
par les autorités militaires.
149
MĂȘme lorsque le centre de dĂ©cision est bien identifiĂ©, la bonne communication
entre adversaires ne va pas de soi.
En temps de paix, les messages de dissuasion destinĂ©s Ă lâadversaire peuvent se perdre
dans un flot dâinformations et de communications de toute nature. Tel nâĂ©tait pas le cas
dans le contexte Est-Ouest : lâattention des Ătats-Unis et de lâUnion soviĂ©tique Ă©tait, des
deux cĂŽtĂ©s, tournĂ©e en permanence et de maniĂšre privilĂ©giĂ©e vers lâautre partie (et la
masse dâinformations parvenant quotidiennement aux Ătats Ă©tait beaucoup plus rĂ©duite
quâaujourdâhui).
Certaines cultures peuvent réagir négativement aux menaces directes faites publiquement,
alors quâun message discret aurait Ă©tĂ© plus efficace. Dâautres nâaccorderont aucune
crĂ©dibilitĂ© Ă une menace profĂ©rĂ©e par un responsable de haut rang, alors quâun message
dĂ©livrĂ© par un proche parent dâun Chef dâĂtat ou de gouvernement aurait retenu toute
lâattention des rĂ©cipiendaires.
150
Autre cas problĂ©matique : celui dâune garantie de sĂ©curitĂ© Ă un pays alliĂ© non commu-
niquĂ©e Ă lâadversaire potentiel. Avant la PremiĂšre guerre mondiale, les dirigeants
britanniques nâavaient pas voulu, pour des raisons de politique intĂ©rieure, faire connaĂźtre
Ă lâAllemagne son engagement de soutenir la France en cas dâattaque.
151
En temps de conflit, lâHistoire montre que la communication est rarement bien assurĂ©e,
parfois mĂȘme lorsque des dispositions spĂ©cifiques ont Ă©tĂ© prises Ă cet effet. Par exemple,
entre lâInde et le Pakistan, les canaux de communication instituĂ©s entre les responsables
des opérations militaires (DGMO, Director General of Military Operations) ne sont pas
utilisés en temps de crise.
Dans les hypothÚses mentionnées ici, il est fort possible que « la prévisibilité du
fonctionnement de la dissuasion sera probablement lâexception plutĂŽt que la rĂšgle ».
152
149
Gregory F . Giles, « Command and Control Challenges of an Iranian Nuclear Force », in Patrick
Clawson & Michael Eisenstadt, Deterring the Ayatollahs. Complications in Applying Cold War Strategy to
Iran, The Washington Institute for Near East Policy, 2007, p. 12.
150
Keith B. Payne, « Deterring the Use of Weapons of Mass Destruction: Lessons from History »,
Comparative Strategy, vol. 14, octobre-décembre 1995, p. 350.
151
Jervis, « Rational Deterrence: Theory and Evidence », op. cit., p. 204.
152
Keith B. Payne, « Nuclear Deterrence for a New Century », The Journal of International Security
Affairs, n° 10, printemps 2006, p. 52.
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
28
Conclusions et recommandations
3.1. â Conclusions
Le mĂ©canisme de la dissuasion est fragile. Il repose sur un ensemble dâhypothĂšses
contraignantes qui résistent mal face aux failles de la psychologie humaine, des
organisations politiques, et des modes de gestion de crise.
153
De plus, sa pertinence face
Ă des individus ou des Ătats de culture non occidentale, ou marquĂ©s par certaines
traditions spirituelles, ne va pas de soi.
LâĂ©tude des conditions de la dissuasion conduit ainsi Ă renforcer le consensus sur les
dangers de la prolifération. Le pari des théoriciens optimistes de la prolifération, qui
suggÚre que cette derniÚre a des vertus stabilisantes, apparaßt extraordinairement risqué.
De mĂȘme est-il hasardeux de parier, comme le font encore de nombreux commentateurs,
sur le fait que « la logique de la dissuasion transcende toute forme dâĂ©poque ou
dâennemi ».
154
Les conclusions suivantes dâun chercheur amĂ©ricain semblent plus convaincantes,
quoique pessimistes : « lâutilitĂ© de la dissuasion est limitĂ©e Ă une gamme Ă©troite de
conflits : ceux dans lesquels les dirigeants adverses sont principalement motivés par la
perspective du gain plutĂŽt que par la crainte de la perte, sont en situation dâadopter une
attitude de retenue, ne sont pas trompés par des évaluations sévÚrement distordues de
la situation politico-militaire, et sont vulnérables au type de menaces que le défenseur
est capable dâexercer de maniĂšre crĂ©dible ».
155
3.2. â Recommandations
Afin de donner Ă la dissuasion toutes les chances de succĂšs, les pays occidentaux devront
faire des efforts particuliers de compréhension des cultures stratégiques nationales (leur
« code opérationnel »
156
), du mode de fonctionnement des régimes politiques, du profil
personnel des dirigeants, et des moyens les plus adaptés de communiquer avec eux,
notamment en temps de crise.
157
Ils peuvent également concerner des institutions sus-
ceptibles dâavoir une culture particuliĂšre ou une influence sur le processus de dĂ©cision
de lâĂtat. De telles analyses doivent ĂȘtre rĂ©guliĂšrement mises Ă jour, y compris pour
tenir compte de lâĂ©volution des Ă©quilibres internes aux rĂ©gimes (ex : CorĂ©e du Nord de
153
Cette Ă©tude sâest limitĂ©e aux Ă©lĂ©ments politiques de la dissuasion. Le bon fonctionnement de la
dissuasion nucléaire suppose également, dans la théorie classique, des conditions opérationnelles trÚs
spĂ©cifiques, notamment lâexistence de capacitĂ©s protĂ©gĂ©es de frappe en second.
154
« In Defense of Deterrence », The New-York Times, 10 septembre 2002.
155
Richard Ned Lebow, « Deterrence Failure Revisited », International Security, vol. 12, n°1, été 1987,
pp. 212-213.
156
Cette expression fait référence à la premiÚre étude systématique de la culture stratégique soviétique :
Nathan Leites, The Operational Code of the Politburo, The Rand Corporation, 1951.
157
Une tentative dans cette direction a été proposée par Caroline F. Ziemke, Philippe Loustaunau & Amy
Alrich, Strategic Personality and the Effectiveness of Nuclear Deterrence, Institute for Defense Analyses /
Defense Threat Reduction Agency, IDA Document D-25537, novembre 2000.
L
A LOGIQUE DE DISSUASION EST
-
ELLE UNIVERSELLE
?
R
APPORT FINAL
29
F
o n d a t i o n p o u r l a
R
e c h e r c h e
S
t r a t Ă© g i q u e
Kim Jong-Il) mais aussi de lâĂ©volution personnelle de dirigeants restant longtemps au
pouvoir (Joseph Staline, Saddam Hussein). Ces efforts, encore trop rares ou insuf-
fisamment approfondis, devraient ĂȘtre systĂ©matisĂ©s, faire lâobjet dâun projet gouver-
nemental de long terme, et, le cas Ă©chĂ©ant, de dĂ©bats et dâĂ©changes entre alliĂ©s.
La dĂ©termination des gouvernements occidentaux Ă dĂ©fendre leurs intĂ©rĂȘts apparaĂźt comme
un paramĂštre clĂ© dans lâexercice de la dissuasion. LâidĂ©e selon laquelle « lâOccident est
faible », attache trop de prix à la vie de ses soldats et de ses concitoyens, et craint
lâaffrontement direct, est trĂšs largement rĂ©pandue. Ceci milite en faveur dâun discours
dissuasif fort, pouvant aller jusquâĂ paraĂźtre Ă la limite du dĂ©raisonnable â tout en
gardant Ă lâesprit que dans certaines cultures, le choix de se battre mĂȘme au risque de la
défaite sera préféré à celui de la reddition dans le déshonneur.
Les politiques de ciblage devraient ĂȘtre adaptĂ©es en fonction de la connaissance fine des
valeurs de lâadversaire, des instruments de son pouvoir et des modes de prĂ©servation de
la survie du rĂ©gime â cette survie Ă©tant bien souvent lâobjectif premier du leadership. La
dissuasion doit sans doute Ă©galement pouvoir sâexercer Ă lâĂ©gard du clan dâun dirigeant,
de ses proches, ou encore de son lieu rĂ©el ou supposĂ© de naissance lorsquâil y accorde
une importance particuliĂšre, notamment lorsquâil sâagit dâun symbole national. Elle
pourrait, Ă lâextrĂȘme, menacer des symboles religieux ou centres de pouvoir spirituel â
mĂȘme Ă titre de bluff. (A lâĂ©vidence, la capacitĂ© de menacer de tels objectifs devrait
rester secrĂšte, mais ĂȘtre communiquĂ©e Ă un adversaire.)
Comme le souligne une analyse amĂ©ricaine, « nous avons besoin dâun compromis entre
la thĂ©orie âtaille uniqueâ et lâidĂ©e selon laquelle chaque relation est particuliĂšre, chaque
situation est si spĂ©cifique quâil nây a aucun enseignement de nature gĂ©nĂ©rique Ă en
tirer ».
158
Au vu de ses limites et des incertitudes qui existent sur son bon fonctionnement, le
concept de dissuasion par menace de reprĂ©sailles doit enfin ĂȘtre affinĂ© et complĂ©tĂ©.
Parmi les pistes de réflexion possibles figurent la « dissuasion personnelle » envers les
exĂ©cutants (cf. opĂ©ration amĂ©ricano-britannique prĂ©alablement Ă lâinvasion de lâIrak
2003), ainsi que la « dissuasion indirecte », câest-Ă -dire lâidĂ©e de tenir pour responsables
les dirigeants dâun pays sur lequel opĂšreraient des forces indĂ©pendantes, voire des
groupes terroristes, ayant accĂšs Ă des moyens de destruction de masse (ce que les Ătats-
Unis avaient envisagé dÚs 2001).
159
Il reste, enfin, pour compléter la dissuasion par
menace de reprĂ©sailles, lâaptitude Ă la prĂ©emption et la capacitĂ© de dĂ©fense antimissile.
Ceci nâenlĂšve rien aux vertus de la dissuasion, qui reste sans doute le moins mauvais
des systĂšmes de dĂ©fense qui ont Ă©tĂ© essayĂ©s au cours de lâHistoire.
158
Ziemke et al., op. cit., p. 7.
159
Un dĂ©bat interne en octobre 2001 avait eu lieu sur la possibilitĂ© dâexercer une forme de dissuasion
envers les Ătats soutenant Al-QaĂŻda, afin de prĂ©venir lâemploi de moyens de destruction de masse. Bob
Woodward, Bush at War (New-York: Simon & Schuster, 2001), pp. 218s.