FACTEURS HUMAINS ET ERREURS MEDICALES

Comprendre et prévenir les erreurs médicales

Surconfiance

La surconfiance comme premier facteur d’échec

Tout membre d’équipe médicale est  susceptible de faire des erreurs. Un article de Beam et al (1996) rapporte ainsi 21% d’erreurs dans la détection du cancer du sein, tandis que Russel et al (1988) ont trouvé que 30% des interprétations de radiographies du thorax faites par des membres de services d’urgence étaient différentes de celles faites a posteriori par les radiologues spécialistes. Parmi les différents facteurs qui conduisent à l’erreur, il y en a un qui est rarement évoqué, celui de la surconfiance en soi. La littérature scientifique est pauvre en la matière et c’est pourquoi il nous est apparu intéressant de citer et d’analyser un article paru en 2008 de Berner et Graber intitulé « Overconfidence as a cause of diagnostic error in Medecine ».

 

Les différents biais de la surconfiance

 

 

Certains auteurs comme Gawande suggère que la surconfiance est probablement la cause numéro un de l’erreur de diagnostic. Les médecins ont en effet tendance à travailler avec des heuristiques. Ce sont des schémas préconçus de réflexion qui permettent de simplifier le processus de raisonnement. Ces heuristiques peuvent être établies à partir de sa propre expérience ou à travers le partage d’expérience avec des confrères. L’intérêt de cette forme de pensée est qu’elle est rapide et économe en énergie. Elle offre au médecin des solutions toutes faites, confortables (donc engendrant une grande confiance en soi) et le plus souvent efficaces. Ce sont les heuristiques qui permettent à un médecin expérimenté de faire la plupart de ses diagnostics (mais pas tous !) en 15 minutes alors qu’il en faudra 30 pour un jeune médecin.

 

Cependant, ces heuristiques étant basées sur des méthodes empiriques, elles ne peuvent pas résoudre tous les problèmes, comme par un exemple un patient ayant des douleurs intestinales qui seraient en fait liées à un problème cardiaque. Ce mode de fonctionnement peut donc être à l’origine d’erreurs de diagnostics, en particulier à cause de la routine qu’il induit. Plus une situation semble connue et plus elle risque de pousser le médecin dans l’erreur de surconfiance avec en corollaire une sous-estimation des risques.

 

Il existe un autre comportement cognitif qui induit des biais important dans l’interprétation de données. C’est ce que l’on appelle le biais de fermeture prématurée (premature closer). Dès lors qu’un médecin est confronté à plusieurs hypothèses, il va avoir tendance à arrêter son choix sur l’hypothèse qui lui est la plus confortable pour ensuite ne plus en démordre. Toutes ses recherches ultérieures seront faites pour conforter son choix initial. Ceci est valable pour tout individu quelque soit son champ d’activité professionnelle ou personnelle.

 

Les auteurs mettent également en garde contre la « complacency » que l’on peut traduire par « suffisance », ou de façon plus diplomatique par « assurance excessive ». Cela se manifeste par une sous-estimation du nombre d’erreurs, une certaine tolérance face à l’erreur et enfin par le fait de penser que l’erreur est inévitable et que l’on ne peut rien y faire. Ceci nous amène à la notion de culture (nationale et professionnelle) en ce sens qu’elle influence toute notre réflexion sur l’erreur, mais ce sera l’objet d’un prochain article.

 

Lutter contre la surconfiance, c’est combattre la routine

 

 

En aviation, il existe un concept appelé TEM (Threat and Error Management) que l’on traduit par Gestion des Menaces et des Erreurs. Il s’agit d’aiguiser la vigilance des pilotes en les empêchant de tomber dans la routine. On sait que l’échec est le plus souvent dû à une succession de petites erreurs, la plupart insignifiantes, mais qui, mises bout à bout, peuvent conduire à l’échec.

 

Le TEM est une gestion proactive des erreurs qui vise à identifier des menaces susceptibles de générer des erreurs et de préétablir des protocoles qui permettront d’y faire face, le cas échéant. C’est une prise de conscience de ses vulnérabilités. Vous êtes fatigué et il vous reste des patients à consulter. La facilité, engendrée par la routine et ses heuristiques, va très probablement prendre le dessus, avec les risques d’erreur que cela entraîne. L’identification méthodique des menaces permet alors d’envisager des « contre-mesures » pour éviter qu’elles ne se transforment en erreurs. Dans le cas évoqué, la simple connaissance de votre fragilité doit entraîner une vigilance accrue, avec éventuellement un bon café !

 

Le TEM c’est chronologiquement: 1) une menace, 2) qui entraîne une erreur, 3) qui entraîne une situation indésirable. Le remède ce sont des “contre-mesures” qui ciblent chacune des menaces. Ce concept, décrit à la page 112 du livre À la recherche du maillon faible, peut très bien être appliqué à l’ensemble des professions médicales.

 

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Pour en savoir plus :

 

Berner E.S et Graber M.L. Overconfidence as a cause of diagnostic error in Medecine. 2008. Am J Med ; 121 : S2-S23.

 

Beam CA, Layde PM, Sullivan DC. Variability in the interpretation of screening mammograms by US radiologists: findings from a national sample. Arch Intern Med. 1996;156:209 –213.

 

Russell NJ, Pantin CF, Emerson PA, Crichton NJ. The role of chest radiography in patients presenting with anterior chest pain to the Accident & Emergency Department. J R Soc Med. 1988;81:626–628.

 

Gawande A. Final cut. Medical arrogance and the decline of the autopsy. The New Yorker. March 19, 2001:94 –99.

 

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