Connaître les
évolutions du produit
L'élaboration de techniques de conservation
implique la connaissance préalable des évolutions spontanées
des produits, notamment de celles qui se traduisent par une dégradation
de la qualité. Ces manifestations varient avec le type de végétal :
brunissement des feuilles de salade, ramollissement des carottes râpées,
fermentation des fruits découpés... Elles relèvent
de trois secteurs de recherche : la physiologie, la biochimie et
la microbiologie des tissus végétaux.
La physiologie
des tissus végétaux
Les produits de quatrième gamme sont
des produits vivants dont les activités métaboliques,
perturbées par les opérations de transformation, se poursuivent.
L'une des manifestations de cette activité
est la respiration, qui se traduit par une consommation d'oxygène
(O2) et un dégagement de gaz carbonique (CO2).
En conditions confinées, l'atmosphère s'appauvrit donc
en O2 et s'enrichit en CO2. Avec un emballage
semi-perméable, des échanges gazeux s'établissent
avec l'extérieur, mais la composition de l'atmosphère
reste différente de celle de l'air. Cette évolution de
l'environnement gazeux rétroagit sur la physiologie des tissus.
Progressivement, un équilibre s'établit, toujours à
des concentrations plus faibles en O2 et riches en CO2
que celles de l'air ; il dépend de la température,
de l'intensité des échanges permise par le degré
de perméabilité de l'emballage. Il convient de choisir
un film permettant l'optimisation de l'atmosphère modifiée
en fonction des caractéristiques physiologiques du végétal
et du profil thermique du circuit de distribution.
Ces phénomènes, qui existent
pour tout végétal cueilli, sont modifiés par la
préparation des produits : l'intensité respiratoire
(exprimée par la consommation d'O2) des feuilles de
salade découpées est supérieure de 20 à
30% à celle des feuilles entières, celle des carottes
râpées est multipliée par six ou sept par rapport
à celle des carottes entières.
Des environnements gazeux très différents
de l'air peuvent enfin provoquer des phénomènes particuliers
tels que l'apparition d'un métabolisme anaérobie (de type
fermentaire) en atmosphère très appauvrie en O2,
ou des altérations liées à la phytotoxicité
du CO2, qui réduisent évidemment la durée
de survie des produits.
Les altérations
biochimiques
La découpe des végétaux
entraîne la rupture de nombreuses parois cellulaires. Ce traumatisme
provoque une libération d'enzymes qui permet des réactions
ne se produisant pas normalement dans les tissus sains et intacts. Les
phénomènes de brunissement, obstacle majeur à l'obtention
de produits de qualité, sont ainsi dus à l'oxydation enzymatique
des composés phénoliques présents dans la plante.
L'étude des mécanismes de
l'altération permet de préciser les différents
facteurs de la réaction et de rechercher les moyens de la limiter.
Dans le cas du brunissement des salades, on peut envisager des traitements
inhibiteurs des enzymes impliquées dans l'oxydation ou la recherche
de variétés et de conditions de culture réduisant
les teneurs en composés phénoliques (cf. infra).
Les altérations
microbiologiques
De nombreux micro-organismes sont naturellement
présents sur les légumes (hôtes normaux du sol,
apports par les eaux d'irrigation ou les fertilisations organiques) ;
d'autres sont introduits lors des manipulations après récolte,
au cours de la transformation ou de la conservation. Certains de ces
micro-organismes sont pathogènes pour l'homme ou occasionnent
une altération des qualités du produit.
La découpe des végétaux
favorise la multiplication de ces micro-organismes présents dans
et sur le produit. Les recherches visent à identifier les bactéries
responsables des symptômes observés, à comprendre
leur mode d'action et à déterminer les moyens de limiter
leur développement.
Certaines des contaminations peuvent être
évitées par le respect de règles d'hygiène
strictes. D'autres peuvent être éliminées par la
désinfection dans un bain à 80 ppm de chlore actif. Enfin,
on cherche à empêcher les proliférations en jouant
sur les conditions gazeuses, les hautes teneurs en CO2 ayant
une action inhibitrice sur le développement des micro-organismes
aérobies. Une réduction
de l'usage du chlore sans augmentation du risque microbiologique est
actuellement recherchée.
L'Institut participe à la mise au
point d'une nouvelle chaîne de fabrication dont chaque opération
unitaire originale permet une optimisation des qualités du produit.
Maîtriser les
évolutions du produit
Composition de
l'atmosphère
Il est nécessaire de déterminer
pour chaque produit la composition optimale, en intégrant l'ensemble
des données biologiques concernant l'activité respiratoire,
l'inhibition des altérations biochimiques et du développement
microbien, les risques de fermentation... Les exemples suivants illustrent
la complexité du problème.
L'excès de CO2 possède,
sur la plupart des bactéries aérobies isolées dans
les salades de 4e gamme, un effet inhibiteur sensible dès
la concentration de 10%. Il limite ainsi l'apparition de pourritures
consécutives à la présence d'une forte population
bactérienne. En revanche, il n'empêche pas la multiplication
des bactéries Pseudomonas sur les feuilles. Par
ailleurs, si une atmosphère très appauvrie en O2
et enrichie en CO2 n'a pas d'effet néfaste sur la
conservation de la plupart des salades à base de chicorée,
scarole, frisée, chiogga ou pain de sucre, un taux de CO2
supérieur à 7% provoque l'apparition de nécroses
brunes sur les laitues. Dans ce cas, il convient de rechercher des atmosphères
simultanèment pauvres en CO2 et en O2,
ce qui est actuellement possible grâce aux nouveaux films ''hydrophiles''.
Contrairement aux salades découpées,
les carottes râpées sont très sensibles à
l'hypoxie (concentration en O2 inférieure à
1%) qui accélère le vieillissement du végétal
et crée des conditions favorables au développement des
bactéries lactiques. Cette évolution se traduit par un
ramollissement du produit et la formation d'odeurs désagréables,
piquantes, caractéristiques des produits fermentés.
Il reste ensuite à déterminer
les moyens d'obtenir l'atmosphère souhaitée, en jouant
sur la composition gazeuse initiale et sur les caractéristiques
de l'emballage.
L'atmosphère initiale (à la
fermeture des sachets) peut être modifiée activement, notamment
par la technique du balayage par un flux d'azote, qui permet d'obtenir
des taux d'O2 résiduel très faibles.
Concernant le choix de l'emballage, l'INRA,
en collaboration avec l'Université de Floride, a élaboré
des modèles pour différentes températures, permettant
d'ajuster sa perméabilité et sa surface à la quantité
et à l'activité biologique du produit. Les recherches
se poursuivent d'ailleurs dans ce domaine, et l'Institut participe,
par la réalisation d'essais de validation, à la mise au
point de nouveaux films polymères.
Température
L'abaissement de la température, procédé
classique de conservation des produits frais, reste primordial dans
le cas des produits de 4e gamme.
Au-delà de 10°C, il est impossible
de maintenir au sein du film des conditions viables pour le produit :
les risques de développements microbiens exacerbés se
conjuguent à une activité respiratoire trop élevée,
pour accélèrer la sénescence des tissus. L'équilibre
entre O2 et CO2 étant sensible à
toute variation de la température, même des fluctuations
accidentelles au cours de la conservation (rupture de la chaîne
du froid) ont des répercussions importantes sur la durée
de vie des produits.
Améliorer
et diversifier les produits
Les produits de 4e gamme
ont connu en quelques années un essor rapide, tant pour la restauration
collective que pour la consommation individuelle. Leur développement
futur nécessite toutefois l'amélioration de certains produits
et la diversification de la gamme proposée.
Adapter le matériel
végétal
L'une des voies d'amélioration des
produits est l'adaptation du végétal. Les essais ayant
mis en évidence la variabilité de la réponse des
végétaux au traitement de 4e gamme, les
recherches visent à comprendre et à exploiter cette variabilité,
qui apparaît liée à l'espèce, à la
variété, mais aussi aux techniques de culture. Au-delà
de l'aptitude à la conservation, il s'agit également,
dans certains cas, d'améliorer la qualité gustative ou
la régularité de la production.
La principale salade produite et consommée
en France, la laitue, ne représente que 20% des salades de 4e
gamme. Les industriels lui ont préféré les chicorées
(scaroles, frisées, pain de sucre...) qui supportent mieux
les divers traitements technologiques. Ces salades sont toutefois assez
sensibles au brunissement, mais il semble que ce phénomène
puisse être limité par certaines techniques de culture.
Les recherches en cours ont en effet déjà montré
que la teneur en composés phénoliques et l'activité
de certaines enzymes (qui conditionnent le brunissement) varient selon
la date de récolte et la saison de culture. Ces études
devraient par ailleurs être complétées par un travail
de sélection visant l'extension des périodes de culture
des chicorées (qui sont avant tout des salades d'automne), et
l'obtention de variétés plus homogènes et stables
génétiquement.
En ce qui concerne la carotte, les variétés
actuellement utilisées, de type industriel, posent peu de problèmes
de conservation, mais leur qualité organoleptique est en revanche
médiocre. Il serait donc utile de développer des recherches
sur les variétés maraîchères.
Diversifier la gamme
Des études préliminaires ont
été entreprises pour l'application aux fruits, qui s'avère
souvent plus complexe et délicate que le traitement des légumes.
Le kiwi pose principalement un problème
non résolu de perte de texture importante après pelage
et tranchage, vraisemblablement imputable à des enzymes protéolytiques.
La stabilité microbiologique peut être obtenue par le conditionnement
sous films à faible perméabilité générant
une atmosphère riche en CO2 et pauvre en O2.
Pour la pêche, la première
difficulté est le brunissement intense et rapide des fruits.
Des prétraitements anti-oxydants associés à des
conditionnements sous films peu perméables et à un remplissage
sous faible pression partielle d'oxygène permettent de limiter,
sinon de supprimer, ce brunissement. Cependant les traitements expérimentés
jusqu'à présent favorisent les processus fermentaires
associés à l'exsudation des fruitsnon sorbatés.
Les altérations microbiologiques ne sont pas maîtrisées,
et de nombreux problèmes restent à résoudre.
Les études technologiques sur la
pomme ont démontré la faisabilité en laboratoire
et en industrie de ce produit. Il en est de même pour la pomme
de terre, pour laquelle deux petites unités industrielles appliquent
le procédé.
Le programme 4e gamme est un
exemple des recherches engagées par l'INRA pour répondre
à une demande des professionnels de l'agro-alimentaire :
la technique a été initialement mise au point à
la demande de Monoprix, et la poursuite des travaux (diversification
de la gamme, optimisation des procédés et amélioration
des qualités organoleptiques des produits...) est orientée
par les besoins exprimés par la distribution et la production.
Les études sont réalisées en liaison avec le CTIFL
(Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et Légumes) et
elles bénéficient du soutien financier de la DGAL (Ministère
de l'Agriculture), de l'ANVAR et de la région PACA.
Pour en savoir plus :
Varoquaux P. 1991. Ready to use fresh fruits
and vegetables. Rev.gen.froid, juillet, 33-43
Nguyen The C., Carlin F. 1994. The microbiology
of minimally processed fresh fruits and vegetables. Critical Reviews
in Food Science and Nutrition. 34:371-401
Varoquaux P. 1993. Recent developments
in the processing of fruit and vegetables in France. The European
Food and drink review, 33-37
Laboratoires :
INRA - Versailles : Station de génétique
et amélioration des plantes
Route de Saint-Cyr ; 78026 Versailles cedex
INRA - Avignon : Laboratoire de technologie
des produits végétaux
Domaine Saint-Paul ; 84140 Montfavet
INRA - Avignon : Station de pathologie
végétale
Domaine Saint-Maurice ; 84140 Montfavet