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Thibaut ZSCHIESCHE / L'Express
"A Brief History of Motion, From the Wheel to the Car to What Comes Next"
De Tom Standage, Bloomsbury, août 2021.
La note de l'Express : 4/5
Lorsqu'un mineur de chalcopyrite de la région des Carpates eut l'idée, vers 3 500 avant notre ère, de fabriquer une roue en bois afin d'en équiper le chariot qui lui servait à transporter le minerai de cuivre jusqu'à sa hutte de métallurgiste, il ne se doutait pas qu'il venait d'inventer un objet qui allait changer le monde. Au cours des cinq siècles qui suivirent, le principe du chariot à quatre roues tiré par des boeufs allait s'étendre en Europe, en Mésopotamie, le long des rives de la mer Noire. Cette nouvelle forme de locomotion, qui permettait de transporter facilement des marchandises et des voyageurs favorisera le développement des échanges économiques. En Mésopotamie, vers 2 600 avant notre ère, des chariots tirés par des mules figuraient parmi les processions religieuses et étaient aussi utilisés à des fins militaires pour transporter les soldats et leurs armes.
Quatre millénaires plus tard, alors que notre civilisation a été profondément marquée par l'extension de l'usage de la roue, de la diligence à l'automobile, voici que s'ouvre une période de remise en cause de cette société de l'automobile, au point que l'on cherche aujourd'hui, en quelque sorte, à réinventer la roue, ou en tout cas ses conditions d'usage. Que s'est-il donc passé pour qu'un mode de transport autour duquel s'est construite la révolution industrielle et urbaine du XXème siècle soit aujourd'hui autant vilipendé ? C'est à cette question que veut répondre Tom Standage, journaliste à The Economist, dans sa brève histoire de la mobilité.
La voiture n'a pas dit son dernier mot
Naturellement, la part belle de ce récit est consacré au XXème siècle et à la place "absurde" selon l'auteur faite alors à l'automobile, autour de laquelle devait s'organiser l'ensemble de l'espace public. Pour l'auteur, l'automobile à été une sorte de smartphone avant l'heure, apportant à ses utilisateurs la liberté, le statut, et le shopping. Il raconte notamment l'histoire de l'architecte autrichien Victor Gruen, qui avait fui les nazis en se réfugiant aux États-Unis et qui avait conçu, au milieu des années 50, dans les faubourgs de Minneapolis, un quartier de conception nouvelle où se mêlaient les immeubles d'habitation, les bureaux, des espaces verts, un centre commercial et des places de parking. Les promoteurs ont pris ses plans, enlevé les espaces verts et les immeubles pour ne garder que le centre commercial et les parkings. Le premier "mall" était né.
Est-il possible d'en finir avec l'ère de l'automobile et de réinventer un espace public qui en fasse totalement abstraction ? Probablement pas à court terme. Pour Tom Standage, il est nécessaire de créer un nouveau modèle de partage de l'espace entre les différents modes de mobilités. Il appelle de ses voeux une sorte "d'Internet de la mobilité" grâce auquel l'usager pourrait choisir le mode de transport qui lui convient le mieux en un lieu et un instant donné, ce qui commence d'ailleurs à se développer dans un certain nombre de villes. Pour autant, l'automobile ne se laissera pas facilement fermer la porte au nez et comptera sur les nouvelles technologies électriques et d'intelligence artificielle pour préserver son rôle.
Quant à nous, qui avons démultiplié l'usage de la roue sous toutes ses formes, de la limousine à la trottinette, n'oublions jamais ce que nous devons aux mineurs des Carpates...