
Abnousse Shalmani.
©JF Paga / SDP
La République islamique d'Iran a enfin compris l'avantage qu'elle pourrait tirer du succès de son cinéma en Occident. Après avoir laissé, dubitatifs, une relative liberté à des cinéastes davantage célébrés au Festival de Cannes que dans leur pays natal, puis, dépassés, emprisonné d'autres cinéastes qui mettaient en lumière la réalité de la mollahrchie absolue, la voilà qui investit dans le cinéma - ce qui me conforte dans l'idée que les mollahs paniquent au point de se tourner vers le soft power cinématographique. Ajoutons que l'ayatollah Khomeyni avait cité La Vache, chef d'oeuvre de Dariush Mehrjui (1969), dans un de ses discours, et vous avez en prime l'autorisation divine.
Ainsi, La Loi de Téhéran de Saeed Roustayi est un film financé par les instances barbues et enturbannées. Une vitrine qui n'en a pourtant pas l'air. Non seulement le film est une réussite, mais c'est une critique sociale acerbe. Si la vertu islamique est préservée à chaque plan (les vertueuses sont entchadorées jusqu'à la gueule, les vicieuses couvrent à peine leurs vils cheveux décolorés), la mécanique de la machine policière et juridique dans la lutte contre la drogue est implacablement et brillamment mise en scène dans un film haletant porté par des comédiens puissants.
Mais ce que révèle La Loi de Téhéran est que, de New York à Caracas en passant par Marseille ou Londres, la lutte contre la drogue ne fonctionne pas. La Loi de Téhéran ne raconte pas autre chose que Traffic (Steven Soderbergh, 2000) ou la saison 3 de The Wire, en particulier l'épisode Hamsterdam (David Simon, 2004) : investissements humains et financiers ou pas, prise spectaculaire ou pas, arrestations de parrains ou pas, tant qu'il y aura des humains pour se droguer il existera d'autres humains pour leur vendre leurs doses. Depuis Nixon et la création de la Drug Enforcement Administration, 1 000 milliards de dollars ont été investis pour lutter contre le trafic de drogue, pour un résultat nul : il n'y a jamais eu autant de drogue en circulation. Si la guerre contre la drogue est vaine, le combat contre la toxicomanie est réalisable.
Les nombreux avantages de la légalisation
Cher lecteur, ne hurle pas tout de suite, ne laisse pas la panique morale gripper ta réflexion, car je m'apprête à poser cette vérité : la seule lutte gagnable contre la drogue passe par l'apprentissage de l'art de se droguer. Je m'explique : interdisez la consommation, répétez que la drogue c'est mal, que la drogue tue, des vérités pourtant éprouvées, et rien ne changera. Expliquez pourquoi et surtout comment on se drogue, et je prends le pari que vous assisterez à une chute spectaculaire de la consommation. Légalisez les drogues et détournez les budgets consacrés aux interdits à l'accompagnement des toxicomanes, et vous aurez enfin les résultats escomptés.
Légaliser les drogues, c'est couper l'herbe sous le pied des trafiquants tout en normalisant un commerce fructueux dont les bénéfices pourraient pacifier des quartiers abandonnés. Légalisez les drogues et vous verrez des dealers s'installer commerçants, légalisez des drogues et vous cesserez de compter les victimes des balles perdues. Légalisez les drogues et vous couperez la manne financière du grand banditisme et du terrorisme. Légalisez les drogues et elles seront de meilleure qualité. Que ce soit des points de vue économique, social ou sanitaire, la légalisation ne présente que des avantages.
Et face à tous ces arguments, je n'entends jamais qu'une frilosité morale, une crainte de voir s'installer une génération de drogués. Pensez-vous sérieusement que la majorité de la population n'attend que la légalisation pour se droguer ? Vous droguerez-vous soudain parce que c'est bêtement disponible ? Tomber dans la drogue est multifactoriel, c'est autant une question de tempérament que d'environnement, de vulnérabilité que de nécessité, de joie comme de désespoir, de béquille comme de carburant.
De la forteresse d'Alamut et ses mythologiques haschichins - qui n'étaient finalement que des guerriers fondamentalistes - au Festin nu de William Burroughs en passant par les paradis artificiels célébrés par Baudelaire ou le Traité des excitants modernes de Balzac qui y répertorie l'alcool, le sucre, le tabac et le café, nous retiendrons ce dernier : "Tout excès se base sur un plaisir que l'homme veut répéter au-delà des lois ordinaires promulguées par la nature. Moins la force humaine est occupée, plus elle tend à l'excès ; la pensée l'y porte irrésistiblement." Tout comme la logique nous porte irrémédiablement à légaliser les drogues.