Idées et débats

Santé mentale, isolement... Ce que les neurosciences nous enseignent sur le télétravail

Si le travail à distance présente de nombreux avantages, la proximité physique reste importante pour la santé psychique comme l'équilibre professionnel.

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Kay Lian et son épouse Li, en télétravail dans leur bungalow du "Camping de l'Océan", avc leur fille Eliette, le 16 avril 2021 à La-Couarde-Sur-Mer, sur l'île de Ré

Kay Lian et son épouse Li, en télétravail dans leur bungalow du "Camping de l'Océan", avc leur fille Eliette, le 16 avril 2021 à La-Couarde-Sur-Mer, sur l'île de Ré

afp.com/Xavier LEOTY

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En janvier, une étude de la multinationale PricewaterhouseCoopers (PWC) montrait que de nombreuses entreprises américaines souhaitaient voir leurs employés retourner au bureau plus vite que ce que ces derniers voulaient. En effet, si 75 % des entreprises interrogées prévoyaient un retour en présentiel total d'ici juillet 2021 - l'évolution de la pandémie en aura décidé autrement -, 61 % des employés interrogés envisageaient de rester à moitié en télétravail. 

À l'heure où nous espérons retrouver un semblant de nos vies pré-Covid, des conflits sont susceptibles de surgir entre employeurs et employés. L'année écoulée a modifié notre vision du travail. Les neurosciences peuvent aider à mieux comprendre les sentiments et les comportements des travailleurs dans ce domaine - et, potentiellement, apporter des réponses à certaines des questions les plus épineuses que tout cela soulève. 

La pandémie aura signé l'explosion du travail à distance, déjà rendu possible par les nouvelles technologies, mais que la plupart des managers rechignaient jusqu'alors à mettre en place. Pendant longtemps, dans la culture professionnelle occidentale, rassembler les employés dans des bureaux durant les heures de travail a été considéré comme une nécessité. Non seulement cela les aide à socialiser et à collaborer, mais cela permet également aux employeurs de les surveiller de plus près. La généralisation des open spaces au cours des deux dernières décennies - malgré la répugnance qu'ils suscitent chez la plupart des travailleurs - ne pourrait pas mieux exposer combien les employeurs veulent exercer un contrôle accru sur leur main-d'oeuvre. Une tendance qui rappelle le désir de contrôle social décrit par Michel Foucault. 

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Nous sommes beaucoup plus émotionnels que rationnels

Après l'arrivée de la pandémie fin 2019, et notre avenir rendu ainsi plus incertain, de nombreux travailleurs du secteur tertiaire ont dû déserter leurs bureaux. Le nombre d'utilisateurs de Zoom a explosé, les appels vidéo sont devenus la norme et la frontière entre travail et vie privée s'est estompée. En essayant de s'adapter à ces nouvelles circonstances, les gens ont également été privés de leur vie sociale. Dans certains cas, le travail était la seule chose qui leur restait. 

Des recherches en neurosciences indiquent que le confinement physique et d'isolement social devraient avoir des conséquences néfastes pour les individus et les groupes. Par exemple, la masse cérébrale rétrécit après une période de monotonie environnementale et d'isolement. Et, bien que l'ampleur de l'impact psychologique de Covid soit encore à préciser, elle semble avoir déclenché des niveaux pathologiques de dépression et d'anxiété. 

Beaucoup prévoyaient une impatience des travailleurs à retourner à leur bureau après une longue période de télétravail. Certains travaux confirment cette attente, arguant qu' "en réponse à des situations d'isolement social ou de solitude, les individus sont motivés à rétablir le contact social et à prêter une plus grande attention aux stimuli sociaux". Mais l'étude de PWC va dans un sens littéralement inverse. 

Non seulement le gros des travailleurs se sont facilement adaptés au travail à distance, mais ils ont également réalisé qu'il présentait de nombreux avantages - en particulier, une réduction des trajets domicile-travail et une plus grande flexibilité pour planifier les tâches ménagères. Et si certains employés sont effectivement impatients de revenir aux relations sociales en présentiel, d'autres préfèrent conserver le mode de vie offert par le télétravail. 

En m'appuyant sur des recherches en neurosciences, j'ai pu décrire la nature humaine comme émotionnelle et égoïste. Nous sommes beaucoup plus émotionnels que rationnels, car le traitement des émotions dans le cerveau joue un rôle essentiel dans les fonctions cognitives, la formation de la mémoire et la prise de décision. Nous sommes également égoïstes, un trait étroitement lié à notre instinct de survie. L'émotivité et l'égoïsme contribuent à expliquer ce que les individus peuvent penser du travail à distance, et ce qui peut les pousser à s'en rapprocher ou à s'en éloigner. 

L'émotivité est susceptible d'inciter les employés à venir au bureau en quête d'interaction sociale, tout comme elle peut aussi les inciter à rester chez eux, par peur d'être dépassés ou d'afficher leurs faiblesses. De même, l'égoïsme a de quoi motiver des employés malades à venir au bureau, malgré le risque de contaminer leurs collègues, comme il peut aussi les inciter à s'isoler, parce qu'ils sont fatigués et mal en point, qu'importe leur désir de socialisation et de partage d'une culture commune. Les préférences en matière de télétravail dépendent également des ambitions de l'individu, de ses objectifs de carrière, de son besoin de confidentialité, de confort et de son accès à une technologie appropriée. Autant de facteurs motivés par des craintes et des désirs inhérents à la nature humaine. 

Pandémie de solitude

Quelles sont donc les meilleures solutions pour les employeurs et les employés? Si le travail à distance présente d'évidents avantages, le fait de l'adopter sans réserve pourrait avoir un coût humain terrible. Selon le professeur à Harvard Arthur C. Brooks, il pourrait nous faire passer directement de la pandémie de coronavirus à une pandémie de solitude et à une crise de santé mentale. De plus, des améliorations technologiques ne se soldent pas forcément par une meilleure connectivité - et peuvent même souvent l'entraver. Nous restons des créatures sociales et avons besoin de travailler collectivement pour nous sentir motivés et pour être productifs et imaginatifs. En outre, selon une étude de McKinsey, certaines nécessités professionnelles - les réunions de brainstorming, les négociations ou l'accueil des nouveaux employés - sont bien mieux réalisées en chair et en os. 

Si la pandémie a accéléré les investissements dans l'automatisation et l'intelligence artificielle - notamment dans les entrepôts, les magasins d'alimentation et les usines de fabrication - la proximité physique reste importante pour la santé mentale et l'équilibre professionnel. Cependant, selon McKinsey, dans les économies développées, 25 % de la main-d'oeuvre pourrait travailler à domicile trois à cinq jours par semaine sans perte de productivité. Pour ces 25%, les employés, les employeurs, les syndicats et les décideurs politiques doivent tirer des conclusions utiles de la situation de travail extraordinaire que nous avons collectivement vécue - et travailler main dans la main pour trouver un équilibre profitable à tous. 

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Cet article est initialement paru dans Areo Magazine, site d'opinion et d'analyse dirigé par Helen Pluckrose. Areo Magazine entend défendre les "valeurs libérales et humanistes", comme la liberté d'expression ou la raison. Le professeur Nayef Al-Rodhan est neuroscientifique, philosophe et géostratège. Il est chercheur honoraire du St Antony's College, de l'Université d'Oxford, et Senior Fellow et chef du programme Geopolitics and Global Futures au Centre de politique de sécurité de Genève, en Suisse.  

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