
Un Afghan passe devant l'ambassade de Chine à Kaboul, la capitale de l'Afghanistan, le 19 décembre 2001. L
AFP
Les Occidentaux ont plié bagage laissant le drapeau chinois flotter dans le ciel de Kaboul. Les Américains ont mis fin à vingt ans de guerre en Afghanistan - surnommé le "cimetière des empires" - et les talibans se sont emparés du pays le 15 août sous le regard attentif de Pékin. Signe que les échanges se fluidifient, la diplomatie chinoise s'est entretenue, le 2 septembre, par téléphone avec les autorités talibanes. Lors de cet appel, la deuxième puissance économique mondiale a promis de maintenir ouverte son ambassade dans la capitale afghane et d'augmenter son aide au pays ravagé par des décennies de conflit. A une seule condition : que les combattants islamistes maintiennent la stabilité en Afghanistan. Avec Kaboul, l'objectif de Pékin reste le même depuis trente ans : conserver la protection des intérêts chinois dans la région.
"Pékin ne veut pas contrôler l'Afghanistan. Nous sommes dans un jeu de rapport de force où le régime d'une façon assez cynique va essayer de profiter de la situation", explique à L'Express Valérie Niquet, chercheuse à la Fondation pour la Recherche Stratégique et la spécialiste de l'Asie. Et pour cela, l'empire du Milieu a besoin d'échanger avec les talibans avec lesquels il entretient des relations "très ambiguës" qui remontent aux années 90. Lorsque les combattants islamistes arrivent au pouvoir pour la première fois en 1996, "le voisin chinois figurait parmi les rares pays à dialoguer avec eux", souligne la chercheuse. Mais l'attaque américaine du 11 septembre 2011 pousse la Chine à se repositionner du côté des puissances occidentales. Voyant les talibans devenir les nouveaux hommes forts de Kaboul, vingt ans plus tard, les autorités chinoises se sont de nouveau rapprochées en coulisses des responsables fondamentalistes.
Historiquement, la Chine n'a pas de lien particulier avec son voisin afghan. "Pékin ne connaît pas bien l'Afghanistan. Traditionnellement, il n'y est pas très implanté. Il obtient des informations grâce aux services pakistanais avec lesquels il entretient une coopération étroite", rapporte Valérie Niquet. Mi-juillet 2021, la Chine officialise sa relation avec les talibans lors d'une rencontre avec le mouvement islamiste à Tianjin (Chine). A cette occasion, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, qualifie les insurgés de "force militaire et politique essentielle." Entre les deux camps, le pacte est le suivant : "Les talibans s'engagent à ne pas soutenir les forces qui iraient à l'encontre des intérêts chinois et, en échange, la Chine aide à la reconstruction du pays si la situation est stable", décrypte Antoine Bondaz, lui aussi chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique. En effet, si l'Afghanistan s'embrase, cela pourrait éclabousser le Pakistan, partenaire économique important pour le pays dirigé par Xi Jinping.
La question des Ouïghours sur la table
Par ailleurs, la Chine veut éviter que l'Afghanistan ne devienne un refuge pour les séparatistes de la région autonome ouïghour du Xinjiang - région avec laquelle l'Afghanistan et la Chine partagent une frontière de 76 kilomètres. Pékin pourrait même aller plus loin en demandant le rapatriement des réfugiés ouïghour (ethnie musulmane minoritaire en Chine) qui ont fui le pays dans les années 70 pour rejoindre l'Afghanistan. Ils seraient au nombre de 3 000 selon Sean Roberts, professeur à l'Université George Washington. "Cela constituerait un test pour les talibans", déclare Antoine Bondaz soulignant que les négociations ont sans doute déjà commencé. En effet, si ces derniers acceptent, ils risquent de se heurter à une contradiction importante : "Hier les talibans disaient vouloir soutenir les kahsmiris musulmans en Inde et aujourd'hui, ils coopèrent pour que la Chine récupère les Ouïghours."
Mais isolés sur la scène internationale, les talibans n'ont pas les moyens de choisir leurs alliés. Pour les fondamentalistes islamistes, c'est important de montrer qu'un grand pays comme la Chine les soutient - une façon pour eux de renforcer leur légitimité à l'étranger. Mais encore faut-il que les talibans aient les moyens de tenir leurs promesses. "Les Chinois vont attendre de voir qui contrôle vraiment le pays. Ils entrent dans une période d'attentisme", note Valérie Riquet. En attendant en Afghanistan, les caisses des nouveaux maîtres de Kaboul sont vides et l'économie du pays est exsangue. La crainte d'une nouvelle guerre civile est également dans toutes les têtes, alors que des combats persistent dans la vallée du Panchir. S'ils peuvent compter sur le Pakistan et la Russie, la Chine pèse plus lourd sur le plan économique. Mais de son côté, Pékin ne regarde pas Kaboul avec des yeux qui brillent. "Si l'Afghanistan était un eldorado des ressources, cela fait longtemps que les Américains et les Chinois auraient investi", rétorque Antoine Bondaz.
"Un enjeu en termes de communication
Pourtant, sur le papier, le pays est intéressant : le sous-sol contient des réserves de terres rares, de lithium - un métal nécessaire aux batteries - mais aussi de cuivre. Mais encore faut-il que ces ressources soient accessibles. "Et pour que ces matières premières soient exploitables, il faut des mines, des infrastructures de transport et surtout qu'elles soient acheminables", reprend le chercheur. Or la frontière avec la Chine est inaccessible et le pays est enclavé donc il n'existe pas de port pour faire passer les marchandises. Par ailleurs, l'historique des coopérations économiques entre la Chine et l'Afghanistan n'a rien d'exceptionnel : des projets ferroviaires n'ont jamais vu le jour tout comme celui de construire une route dans le corridor du Wakhan - au niveau de la frontière sino-afghane. Parmi les seuls contrats importants : celui portant sur l'exportation de pignons de pin dépourvu de valeur stratégique.
Cependant, des bonnes relations avec l'Afghanistan bénéficieraient indirectement au projet chinois des nouvelles routes de la soie si la région est stable. Par ailleurs, tisser des liens avec Kaboul répond davantage à un enjeu politique qu'à un intérêt économique. Sur le plan diplomatique, le retrait des Américains représente une aubaine. L'agence de presse officielle Xinhua a déclaré avoir vu "le dernier crépuscule de l'empire". Les Chinois veulent mettre en scène l'échec des Etats-Unis dont ils profitent du départ sur le court terme. "Pour Pékin, l'Afghanistan représente un enjeu en termes de communication. Pékin veut montrer que le retrait occidental s'associe à un accroissement de l'influence chinoise", éclaire Antoine Bondaz. De leurs côtés, les talibans comptent jouer de cette compétition stratégique entre la Chine et les Etats-Unis pour avancer leurs pions.