France

"Il y avait de l'argent à se faire": le business des surdoués

Alors que seulement 2,3% de la population a un QI supérieur ou égal à 130, les consultations à ce sujet explosent. Un marché juteux, au risque du charlatanisme. Enquête.

Durée : 5 min
Partage Created with Sketch.
Alors que seulement 2,3% de la population a un QI supérieur ou égal à 130, les consultations à ce sujet explosent. (Photo d'illustration)

Alors que seulement 2,3% de la population a un QI supérieur ou égal à 130, les consultations à ce sujet explosent. (Photo d'illustration)

Istock

Article Abonné
Écouter cet article sur l’application
Écouter cet article sur l’application

"Ma fille m'a parlé de la mort, et du fait qu'elle croyait être un écureuil dans une autre vie." Kevin* s'interroge. Après avoir répondu à un questionnaire sur Internet, le quadragénaire vient de découvrir qu'il était "zèbre", l'autre nom des surdoués que la psychologue Jeanne Siaud-Facchin a popularisé. "Je suis sûr que ma fille l'est aussi", écrit-il sur l'un des 70 groupes Facebook consacrés au sujet, où échangent quotidiennement plus de 9000 membres. Et pour cause. Depuis une dizaine d'années, le haut potentiel intellectuel (HPI), catégorie qui regroupe les personnes dont le quotient intellectuel (QI) est supérieur ou égal à 130, fascine. "Il y a quasiment 70% des gamins pour lesquels, en consultation, est évoquée l'hypothèse du HPI, y compris chez ceux qui sont déficients", commente Léonard Vannetzel, psychologue spécialiste de l'enfant, alors que 2,3% de Français seraient réellement surdoués.  

Parmi les raisons de cet engouement, le livre de Jeanne Siaud-Facchin, Trop intelligent pour être heureux ? (éd. Odile Jacob, 2008). Dans cet ouvrage vendu à près de 240 000 exemplaires, la thérapeute associe le surdoué à "une sensibilité, une émotivité, une réceptivité affective". Une définition contestée par Nicolas Gauvrit, psychologue et chercheur en sciences cognitives : "Elle a décrit les HPI avec des traits de personnalité un peu vagues, ce qui n'est pas prouvé par la recherche. Cela a permis à beaucoup de gens de s'y retrouver".  

TF1 s'est récemment emparée du phénomène, avec la série policière HPI, diffusée depuis le 29 avril. Son héroïne, incarnée par la flamboyante Audrey Fleurot, possède la particularité d'avoir un QI de 160. Déjà un triomphe, avec plus de 10 millions de téléspectateurs, le 6 mai. Pas étonnant que de plus en plus de professionnels décident de se spécialiser dans le HPI : parmi les 3953 psychologues référencés sur Doctolib, 16% proposent des tests de QI. Avec un tarif qui oscille entre 200 et 600 euros, ces derniers représentent un filon économique. Michelle*, psychologue dans le XVe arrondissement de Paris, le reconnaît : "Comme beaucoup de mes collègues, je me suis lancée là-dedans parce que je savais qu'il y avait de l'argent à se faire." Depuis le deuxième confinement en novembre dernier, la fréquentation de son cabinet a explosé. "Les gens se posent plus de questions sur eux-mêmes. Parfois, il m'arrive de faire quatre tests par semaine, le double de ce que je faisais avant !"  

Offre limitée. 2 mois pour 1€ sans engagement
Je m'abonne

Jeanne Siaud-Facchin, elle, a fondé en 2003 les centres Cogito'z, des structures spécialisées dans le HPI. Outre des tests de QI, ces établissements proposent une formation de trois jours pour accompagner les adultes haut potentiel, à 690 euros. Franklin*, un ancien patient de Cogito'z Lyon, se souvient d'une mauvaise expérience. "Les rendez-vous proposés étaient très étalés, et l'entretien de restitution des résultats était une simple lecture du rapport", détaille l'ingénieur de 34 ans. Après avoir consulté deux autres psychologues, qui ont trouvé le compte rendu très "générique", celui-ci apprend finalement qu'il est autiste : "Depuis tout petit, il y avait des signes. Mais je me suis tourné vers l'hypothèse du HPI car c'est ce qui faisait le plus fantasmer."  

Youtubeurs spécialisés

Un témoignage pas étonnant pour la psychologue Stéphanie Aubertin, qui a déjà lu plusieurs bilans de ces centres : "Les analyses sont très superficielles, il y a des choses qui reviennent tout le temps." Sandrine*, une ancienne psychologue de Cogito'z Marseille, en sait quelque chose : "Ma responsable écrivait à ma place. Il y avait des phrases copiées-collées". Les cas comme celui de Franklin, Jeanne Siaud-Facchin ne les ignore pas : "Avec mon livre, beaucoup se sont autoproclamés "zèbres", alors qu'ils avaient des pathologies plus sévères." Si la thérapeute reconnaît parfois "des automatismes de phrases", celle-ci conteste farouchement les autres critiques : "On passe énormément de temps sur le bilan, et l'écrasante majorité de nos patients sont contents !" 

Les psychologues ne sont pas les seuls à s'intéresser au HPI. Sur Internet, pléthore de coachs surfent sur le phénomène, malgré l'absence de diplôme. Parmi eux, Siegfried Cey, qui présente dans une vidéo visionnée plus de 440 000 fois sur YouTube un questionnaire destiné à déterminer si l'on est HPI. "Solitaire" ou "dénué de succès", les clichés autour du surdoué se succèdent, sur une musique relaxante. "En dehors de la curiosité, il n'y a pas d'éléments de personnalité typique chez le HPI", rappelle pourtant Nathalie Clobert, psychologue spécialisée sur le sujet. "On ne peut pas se dire surdoué si l'on n'a pas passé un test face à un praticien." Un constat ignoré par le coach, qui propose sur son site "une détection de la douance" en ligne, pour un tarif de 296 euros.  

Raymonde Hazan, une psychanalyste autoproclamée surdouée, dispense, elle, depuis 2012 des conseils sur sa chaîne YouTube, suivie par 22 000 personnes. "La seule chose avec laquelle vous pouvez ouvrir toutes les portes en tant que surdoué, c'est la clef du coeur", explique-t-elle dans l'une de ses 500 vidéos. Sur sa page Internet, elle propose une détection du haut potentiel par téléphone (120 euros les 45 minutes), ainsi qu'une heure et demie de vidéos pour "bien vivre sa surdouance" (349 euros). "Demain, on enseignera ma théorie à l'université", affirme celle qui rejette les tests de QI, "conçus par des gens qui ne connaissent rien".  

HPI contre "normo-pensants"

Lou* s'est retrouvée dans ce discours. Mais les cinq minutes de discussion téléphonique entre cette trentenaire et la "youtubeuse" spécialisée vont rapidement la faire déchanter. "Alors que je lui révèle que je viens de vivre un viol, elle me dit de passer à autre chose, car ma "condition de surdouée" est plus importante. J'étais sous le choc, d'autant que je ne lui avais jamais dit que je l'étais !" raconte-t-elle. Interrogée à ce sujet, la psychanalyste dément : "Ce n'est pas mon genre de discours." La professionnelle a lancé son "académie de surdoués" en Normandie. Destinée à former des surdoués à l'accompagnement d'autres surdoués, "l'école" coûterait 3500 euros les six jours. Un tarif non confirmé par Raymonde Hazan, qui refuse de parler de sa formation à des "normo-pensants".  

Même les sectes semblent s'intéresser à l'aubaine. L'organisation Ashram Shambala, par exemple. "Cette secte russe était proche du mouvement des "enfants indigo", pour lequel certains gamins étaient supérieurs et devaient être éduqués en vue de développer leur haut potentiel", détaille Valérie Blanchard, avocate spécialisée dans les mouvements sectaires. Alban Bourdy a bien connu ce groupe. Dans son ouvrage Un bisounours au pays des se(x)ctes (2018), cet ancien membre français raconte les trois années passées en son sein et affirme avoir vu Jeanne Siaud-Facchin, lors d'un week-end organisé par Ashram Shambala à Cassis, en 2010. "J'y étais, c'est vrai. Mais je ne savais même pas que c'était une secte !" se défend la psychologue. Pendant qu'elle nous répond, un nouveau "zèbre" vient de publier sur un groupe Facebook. Afin de savoir si oui ou non, l'intelligence est la source de ses problèmes.  

L’application L’Express
Pour suivre l’analyse et le décryptage où que vous soyez
Télécharger l'app

* Prénom modifié pour respecter l'anonymat. 

Avantage abonné
Offrez gratuitement la lecture de cet article à un proche :
« "Il y avait de l'argent à se faire": le business des surdoués »
L’article sera disponible à la lecture pour votre bénéficiaire durant les 72h suivant l’envoi de ce formulaire, en cliquant sur le lien reçu par e-mail.
Cette fonctionnalité est réservée à nos abonnés. Pour en profiter, abonnez-vous. Je m’abonne dès 1€, sans engagement
Déjà abonné(e) ? Se connecter
Assurez-vous que la personne à laquelle vous offrez l’article concerné accepte de communiquer son adresse e-mail à L’Express.
Les informations renseignées dans ce formulaire sont destinées au Groupe L’Express pour l’envoi de l’article sélectionné à votre proche, lequel sera informé de votre identité. Pour toute information complémentaire, consulter notre Politique de protection des données.
C’est envoyé !
Vous venez d’offrir à mail@mail.com l’article suivant :
« "Il y avait de l'argent à se faire": le business des surdoués »
Une erreur est survenue
Une erreur est survenue. Veuillez réessayer.
Offre spéciale
Découvrez tous nos articles en illimité pour 1€ seulement.
Voir plus/moins
Merci de lire L’Express
Savoir quoi penser de ce monde
Offre spéciale
Découvrez tous nos articles en illimité pour 1€ seulement
Voir plus/moins
Derniers jours
Nos articles en illimité pour 1 € seulement sans engagement
Fermer