La religion des Incas
La Religion des Incas, Carmen Bernand, Cerf, 2021, 312 p., 22 €.
Laurent Testot
Mensuel N° 341 - Novembre 2021

Les Incas ont construit un immense empire qui avait pour ciment la religion. Cette construction politique, abattue par les conquistadores dans la première moitié du 16e siècle, était unique à bien des égards. Elle ne connaissait pas l’écriture, si ce n’est un système comptable complexe enregistré sur des jeux de cordelettes, les quipu, dont un bel exemplaire orne la couverture du présent livre.
Nous ne comprenons pas tous les usages des quipu aujourd’hui, et Carmen Bernand nous fait toucher du doigt la difficulté de restituer la complexité d’une civilisation défunte. Exposant ses mythes, par exemple, elle souligne que comme en Grèce antique, et à la différence des religions monothéistes, les récits fondateurs n’étaient pas figés par une écriture révélée une fois pour toutes. Chaque conteur dépositaire de ce savoir disposait d’une latitude pour dévoiler les histoires des ancêtres et/ou des forces telluriques, et jouait de sa voix pour incarner et restituer les dits et les actes du passé. D’où les écarts dans les œuvres des chroniqueurs, espagnols ou métis, qui nous servent aujourd’hui de guides dans cet univers. On retiendra de cette incursion en pensée andine les multiples façons dont les Incas symbolisaient leur domination sur les peuples conquis, à travers les sens prêtés aux végétaux nourriciers, aux couleurs des textiles – agriculture et tissage étant les activités civilisationnelles par excellence, parce que leur productivité nécessitait la coordination de communautés entières. On comprendra mieux aussi comment, en comparaison, fonctionnaient d’autres entités étatiques (Égypte, Aztèques…) confrontées aux mêmes problématiques. Enfin, en cas de voyage à Cuzco (Pérou), on pensera à glisser ce livre dans la valise. Ne serait-ce que pour mieux apprécier le paysage. Car pour les Incas, la nature était une entreprise esthétique soumise à la planification humaine. Les montagnes autour de leur ancienne capitale portent toujours l’empreinte des rêves d’une élite qui se voulait d’essence divine.