Extrait du magazine n°475
S’évader, se retrouver en famille, faire une pause… ce qui paraît naturel pour les uns reste inaccessible pour d’autres. En France, la démocratisation des vacances est loin d’être achevée. Le monde de l’entreprise a un rôle à jouer pour lever les obstacles économiques et culturels.

Chaque année, le constat reste le même : des millions de Français ne partent pas en vacances. En 2019, ils étaient 37 % à ne pas avoir passé plus de quatre nuitées consécutives hors de chez eux et hors déplacement professionnel. Sans surprise, ce sont les personnes les plus précaires qui restent à domicile. Parmi les bas revenus, plus d’une personne sur deux (53%) déclare ne pas être partie en vacances, contre 18 % des hauts revenus. Et la crise sanitaire n’a pas arrangé les choses.
« Nous ne pouvons accepter cela. Le départ en vacances est plus qu’un droit : c’est une nécessité », rappellent la CFDT et ses partenaires associatifs réunis au sein du Pacte du pouvoir de vivre. Et la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a inscrit ce principe en rappelant que « l’égal accès de tous, tout au long de la vie, à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs constitue un objectif national. Il permet de garantir l’exercice effectif de la citoyenneté ».
Le frein financier
Le principal frein reste le manque de moyens financiers. Pour les ménages les plus modestes, « ces dépenses représentent 8,1 % de leur revenu, soit deux fois plus que ce que représente le poids des vacances pour les foyers les plus aisés », affirme, dans une note, le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). Des aides financières existent pourtant mais, finalement, seul un quart des Français en bénéficie, et pas forcément les plus démunis. Aux difficultés économiques s’ajoutent, pour certains, des obstacles psychologiques ou culturels. « Partir en vacances, c’est un acte d’émancipation : ça suppose de gérer un budget, des contraintes pratiques, de s’adapter à un environnement différent. Cela nécessite parfois un accompagnement », souligne Thierry Cadart, ancien secrétaire national de la CFDT chargé des activités sociales et culturelles.
L’image d’Épinal des Français partant en masse en vacances avec les premiers congés payés a laissé place à une réalité plus fade.
Et sur ce point de l’accompagnement, le monde de l’entreprise a un rôle à jouer, qu’elle a peut-être perdu de vue un moment. L’image d’Épinal des Français partant en masse en vacances avec les premiers congés payés a laissé place à une réalité plus fade. « Certains disent qu’aider les gens à partir en vacances, c’est de l’assistanat. Qu’aider quelqu’un à trouver un logement, un emploi, à payer ses factures, en revanche, c’est noble. Faut-il aider et accompagner les gens pour partir en vacances ? Eh bien oui ! Car c’est gratifiant et chargé de valeur sociale ajoutée », résume avec conviction Jean-Pierre Bauve, militant de la CFDT-Retraités, en faveur des vacances pour tous, lui-même issu du tourisme social (lire l’encadré).
Pour pousser les entreprises à se ressaisir de la question, l’État a proposé en juin 2020, dans son plan « Vacances apprenantes et tourisme solidaire », que le « sujet des vacances fasse l’objet d’un échange annuel au sein des comités sociaux d’entreprise, au titre de l’action sociale », dans le dessein d’« évoquer les éventuelles actions de l’employeur ou des représentants du personnel en la matière ».
L’action du comité social et économique (CSE)
Il est vrai que les élus du personnel ont quelques atouts dans leur manche. Tout d’abord, ils peuvent apporter un coup de pouce financier aux salariés en fonction de leur budget. Ensuite, ils peuvent mettre en place une politique volontariste en se fixant pour objectif de toucher les salariés les plus éloignés des vacances. Un véritable travail militant qui nécessite de répondre à deux questions essentielles : « Qui ne part pas ? » et «Pourquoi ?». « Une fois qu’on a la réponse, il est alors possible d’accompagner les collègues sur le chemin d’un projet de vacances, de les informer sur les aides, tout en étant référent sur le projet », détaille Jean-Pierre Bauve. « La CFDT défend le rôle social des CSE en matière de vacances alors qu’ils sont souvent vus comme des prestataires de services qui distribueraient des chèques-vacances ou des subventions avec comme seul objectif d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés », souligne Thierry Cadart. « Si ce rôle n’est pas réaffirmé, Bercy pourrait bien être tenté de taxer un jour les activités sociales et culturelles (ASC), ce qui mettrait en danger toute l’action sociale des CSE », prévient-il. « Et n’oublions pas que réussir à faire partir un collègue en vacances est une réussite fantastique et une satisfaction personnelle », renchérit Jean-Pierre Bauve. Une belle action syndicale…
Tourisme social et solidaire : de quoi parle-t-on ?
Le mouvement du tourisme social et solidaire se fixe une mission principale : permettre au plus grand nombre de partir en vacances et d’avoir accès à des loisirs, en pratiquant des tarifs accessibles. Une façon de concrétiser le « droit aux vacances ». Le tourisme social a émergé en Europe au début du xxe siècle, avec la régulation du temps de travail et la mise en place des congés payés, et a été porté par les actions des organisations syndicales, de jeunesse ou d’éducation populaire et les comités d’entreprise. Désormais, le secteur se veut aussi un acteur du développement durable et des territoires. Il se compose de structures associatives dont la recherche du bénéfice n’est pas l’objectif. En France, le tourisme social et solidaire a accueilli, en 2019, 6 millions de vacanciers dans 1 669 établissements (villages vacances, campings, etc.).