ÉTAT
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Selon qu'on met l'accent sur la force, sur le droit ou sur la légitimité, l'étude de l'État est susceptible d'être conduite suivant trois approches très différentes : sociologique, juridique, ou philosophique. Y aurait-il donc autant d'États qu'il y a de manières de l'observer ? Le juriste Georges Burdeau le constatait déjà dans la notice qu'il consacra à ce sujet dans la première édition de cette encyclopédie. Mais aujourd'hui, c'est probablement moins la diversité des définitions de l'État qui est problématique que sa possible disparition. À l'heure de la mondialisation et de la construction européenne, on ne compte plus les livres ou les articles qui évoquent la fin prochaine de l'État. Celui-ci serait une forme du pouvoir politique dépassée, parce qu'adossée à la nation, elle-même devenue obsolète en raison de l'influence croissante des puissances économiques et financières. La thèse n'est cependant pas entièrement nouvelle. En 1941, le juriste allemand Carl Schmitt diagnostiquait déjà la mort de l'État, considérant que celui-ci avait perdu le monopole du politique à l'intérieur de ses frontières et n'était plus le pilier de l'ordre international. Plus récemment, une sociologue américaine, Sasskia Sassen, a interprété la mondialisation et ses ravages comme la manifestation tangible de l'effacement de l'État : celui qui avait réussi à produire « l'assemblage du national », serait menacé par son « désassemblage », résultat des formes modernes du capitalisme. Il serait devenu une puissance impuissante face aux nouvelles formes de pouvoir prises par l'économie mondiale. On ne compte plus, par ailleurs, les essais dans lesquels est annoncé le dépérissement « par en bas » de l'État, c'est-à-dire par les processus de décentralisation et de régionalisation, même si l'on parle, non sans paradoxe, d'un « État régional ».
Malgré tous ces pronostics pessimistes, l'État, ce « monstre froid », selon le mot de Nietzsche, n'est pas encore mort, même s'il n'est plus triomphant. Il n'y a pour l'instant pas d'autre institution qui soit propre à le remplacer. Le Jacques Chevallier peut affirmer, non sans raison, que l'État « demeure aujourd'hui le principe fondamental d'intégration des sociétés et le lieu privilégié de formation des identités collectives ». D'ailleurs, une preuve empirique récente de cette persistance du fait étatique ne réside-t-elle pas dans le nombre d'États qui se sont formés après l'éclatement de l'Union soviétique et de la fédération yougoslave ? N'est-il pas en outre significatif que les trois petites nations baltes aient choisi la forme de l'État unitaire plutôt que la forme fédérale ?
Il reste que le concept d'État doit être analysé correctement. Il sera abordé ici à partir du droit. Rappelons que, en tout cas depuis les travaux de Max Weber (1864-1920), une sociologie de l'État existe aussi. Les progrès de cette discipline ont montré, notamment en France à partir des travaux de Pierre Birnbaum et de Bertrand Badie, que le fait étatique est une variable indépendante qui peut expliquer quantité d'autres faits sociaux (importance de l'anarchisme dans les sociétés à État fort, importance des grands corps administratifs, etc.). Mais nous nous attacherons à une explicitation de ce concept dans son seul aspect juridique, avec la conviction qu'elle peut servir aux autres sciences sociales. En effet, on ne peut pas simplement définir l'État comme une entité géopolitique délimitée par des frontières territoriales, à l'intérieur desquelles des lois s'appliquent et des institutions exercent l'autorité. Nous tenterons donc de montrer que la notion d'État, spécifiquement juridique, est à la fois plus riche et plus complexe. Au préalable, il convient de souligner que l'État est aussi et d'abord un produit historique.
Un concept né en Europe
Même s'il s'est universalisé, l'État est un concept profondément européen ; de très nombreux travaux ont démontré qu'il est le produit d'une histoire particulière. Les recherches d'historiens tels que Joseph Strayer (1904-1987) ont révélé les origines médiévales de l'État (expansion du commerce, de la guerre et de l'impôt, etc.). Elles ont permis également d'étudier les différents acteurs qui ont contribué à sa genèse (dynasties royales, juristes de cour, bourgeoisie patricienne, etc.). L'État est, au premier chef, une construction juridique, une invention de juristes. Autrement dit, les origines intellectuelles de l'État se trouvent dans le droit. Carl Schmitt a su exprimer en termes imagés cette naissance de l'État. « Nous sommes conscient, écrit-il, que la science juridique est un phénomène spécifiquement européen. Elle n'est pas seulement de l'intelligence pratique ou de l'artisanat. Elle est profondément enfouie dans l'aventure du rationalisme occidental. Elle prend sa source dans l'esprit de deux vieux parents. Son père est le droit romain ressuscité, sa mère l'Église romaine. La séparation d'avec la mère a été, après plusieurs siècles de durs affrontements, finalement accomplie lors des guerres civiles confessionnelles. L'enfant s'accrocha à son père, le droit romain, et abandonna la maison de la mère. Il chercha un nouveau foyer et le trouva dans l'État. La nouvelle maison était princière, un palais de la renaissance ou du baroque. Les juristes se sentaient fiers et de loin supérieurs aux théologiens. » L'État vient ici remplacer l'Église comme lieu d'identification collective et se situe, depuis lors, toujours en concurrence avec le pouvoir spirituel qu'il a voulu, en tant que pouvoir temporel, supplanter.
Une courte enquête sémantique n'est pas inutile pour mieux comprendre les origines du mot. État vient du mot latin status, ce qui explique son homogénéité étymologique dans l'espace européen qui a connu la domination du christianisme latin (alors qu'il est désigné sous l'antique nom de kratos chez les Grecs). Au Moyen Âge, le terme status n'est jamais employé seul pour désigner une entité politique : il est toujours accompagné d'un attribut, par exemple status civitatum, status nobilitatis, status reipublicae. Les usages médiévaux du terme ou de ses multiples dérivés en langue vulgaire (estat, estado, stato) renvoient ainsi à d'autres réalités, à des différences de condition fondées sur la distinction des fonctions spirituelles et temporelles, sur le rang social, le rôle politique (les estats généraux), etc. Comment est-on alo [...]
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Écrit par :
- Olivier BEAUD : professeur de droit public à l'université de Panthéon-Assas (Paris-II)
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Pour citer l’article
Olivier BEAUD, « ÉTAT », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 16 décembre 2021. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat/