RATIONALISME
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Le mot rationalisme, en son sens large, ne désigne pas vraiment une doctrine, comme les mots « idéalisme » « réalisme » ou « empirisme ». Sans doute peut-on en fixer certains traits pour constituer, en un sens étroit, le contenu d'une doctrine qui s'oppose alors à l'empirisme, et pose que toute connaissance exige des principes universels non tirés de l'expérience. Mais le mot correspond plutôt à une orientation générale, à une certaine forme ou manière d'interprétation de l'expérience humaine, qui peut se superposer à différentes doctrines, ou les pénétrer, sans en altérer fondamentalement le contenu. C'est cet aspect que nous essaierons surtout de définir, l'opposant alors à l'irrationalisme. Car le conflit des deux attitudes constitue, sous différentes présentations et à différents niveaux, plus encore aujourd'hui qu'à d'autres époques, un thème déterminant de la culture.
Le motif dominant du rationalisme est évidemment l'hypothèse que la réalité peut être atteinte en quelque façon – et les actions humaines évaluées sinon gouvernées – par l'usage de la raison. Mais que faut-il entendre par la « raison » ? À travers la diversité des sens qui ont été et sont donnés à ce terme, il semble cependant que quelques traits distinctifs puissent être maintenus :
– la raison est intelligence plutôt qu'instinct ou réactions affectives ;
– la raison renvoie à des principes, cadres de la connaissance et de l'action, qui sont plus ou moins explicites mais appellent et supportent l'élucidation ;
– la raison procède par enchaînements de concepts et non par juxtaposition et enchevêtrement d'images, de métaphores et de mythes.
Il ne conviendrait pas, cependant, d'identifier d'entrée de jeu raison et « logique », ou raison et contemplation désintéressée. Pour préciser davantage le sens de l'attitude rationaliste, nous la présenterons d'abord sous quelques-unes des variantes qu'elle assume dans divers systèmes philosophiques, afin de bien montrer qu'elle ne saurait être indissolublement associée à un seul contenu doctrinal, ni être rigidement formulée en préceptes définitifs. Après quoi nous examinerons la problématique du rationalisme dans le contexte contemporain.
Quelques variantes historiques du rationalisme
Le rationalisme de l'Antiquité classique
Dans un grand nombre de systèmes philosophiques apparaissent les traits d'une attitude rationaliste dominant l'organisation de thèses tout à fait diverses, et à certains égards opposées. Ainsi peut-on qualifier de rationalistes, quoique à des titres différents, Platon et Aristote, les épicuriens, les stoïciens, les pyrrhoniens ou sceptiques... Nonobstant les contenus « idéalistes », « empiristes », « conceptualistes » de leurs doctrines en ce qui concerne la nature de ce qui est et le rapport de ce qui est à la pensée, ces systèmes expriment tous à leur manière un certain accord sur les points suivants, qui contribuent à définir une attitude rationaliste.
En premier lieu, la raison est λ́ογος, c'est-à-dire une pensée articulée dans un discours. La sensation elle-même, qu'elle soit prise par certains philosophes comme source originaire ou principale de notre connaissance du monde, ou comme ne nous en révélant qu'une apparence, doit, pour être représentation, s'exprimer sous la forme linguistique d'un énoncé. Platon, Aristote, les stoïciens analysent de façons différentes cette mise en forme dans un langage : liaison entre le nom d'un substrat et le nom d'une propriété, chez l'un, affirmation ou négation d'un fait existant chez les autres. Mais, dans tous les cas, le passage par le symbolisme de la langue et par la réglementation d'une grammaire est requis.
On s'écarterait au contraire du rationalisme si l'on recevait comme connaissance achevée et authentique l'impression pure et simple prise comme telle, ou l'image. Et les épicuriens et les stoïciens eux-mêmes, qui placent de telles impressions reçues par les sens à la source du savoir, décrivent chacun à leur manière une activité de pensée [...]
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Écrit par :
- Gilles Gaston GRANGER : professeur au Collège de France
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Pour citer l’article
Gilles Gaston GRANGER, « RATIONALISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 25 janvier 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/rationalisme/